Ce recueil compilé par les éditions Blogger de Loire a le mérite de démontrer que Lorris Murail était aussi un auteur de nouvelles, et qu'il écrivait aussi pour les adultes. Ces textes montrent également l'évolution de son écriture au fil du temps, et en même temps la persistance d'un "ton" très personnel.
L'amour, le temps et les historiens se situe en 2065, quand il est devenu possible de communiquer à travers le temps. Un individu s'entiche de sa correspondante de 1971 et n'a de cesse de vaincre la Barrière et les réticences de son Historien attitré pour la retrouver. L'univers est à peine évoqué, mais semble intrigant, et la fin est un peu rapide.
Son Excellence Igor Smith, ambassadeur représente la planète Boruthbohté, en visite sur la Terre pour négocier un contrat commercial, en pleine guerre froide. L'atmosphère de l'époque est bien rendue, le ton est plein d'humour. Une nouvelle vraiment plaisante, avec une chute drôle à souhait.
Rapport d'un leucémique à la commission pour l'hygiène sociale : dans ce texte plein d'humour à la prose venue tout droit du XIXe siècle, l'auteur brosse à grands traits un univers où vampires et humains cohabitent en toute légalité.
Sapo nelado décrit la façon dont une enfant péruvien et son grand-père sortent de son cercueil de glace une momie inca. Le texte s'interrompt brutalement.
L'hippocampe est une réflexion sur les conséquences de l'ablation de l'hippocampe, à l'échelle individuelle et sociale. Ce n'est pas inintéressant, mais m'a surtout laissé une impression de longueur.
Le Théodog : le narrateur est invité à entrer dans un club très sélect qui vise à réconcilier la théorie et le dogme. Je suis restée à l'extérieur de ce texte, mais il m'a semblé être une démonstration du fonctionnement des sectes, au moins en ce qui concerne le recrutement.
Le mythe de l'autostoppeur : un soir, un conducteur à la conduite sportive prend un jeune homme en stop, qui l'alerte sur la dangerosité des lacets dans lesquels il entrait. C'est à mon avis l'une des meilleures du recueil, elle joue avec un trope rebattu en le renouvelant, ce qui rend la chute très plaisante.
Le jeu a été inventé par un groupe d'amies : il consiste à répéter exactement ce qu'on a fait la veille à la même heure. Il se répand, et a des conséquences inattendues... Une nouvelle originale, à la progression bien maîtrisée et au ton agréable, avec des clins d'œil aux années 1970 qui feront sans doute sourire ceux et celles qui les ont vécues.
La chapelle de Guillaume Tell : un illustre pianiste est emprisonné par une dictature sud-américaine. Peu à peu, dans sa cellule, il reconquiert le son et la musique, mais de façon très différente. Une autre excellente nouvelle, qui traite du thème sombre des rapports entre geôlier et prisonnier, dans une époque - les années 1970, encore une fois - où cette situation n'avait que trop de vérité historique. J'ai trouvé la fin un peu rapide, mais beaucoup aimé le texte en général.
L'énigme d'Eric Lesage : le narrateur devient l'interlocuteur privilégié d'un nommé Eric Lesage dans l'exposé de ses théories conspirationnistes sur une surveillance des Terriens par une ou des entité(s) mystérieuse(s). C'est fort bien écrit, et une critique, ou un hommage, au second degré des livres de la défunte collection L'Aventure mystérieuse.
L'homme de l'année, par Sandy Hoelstroem : Enoch Amato, à l'en croire, est un philanthrope qui amasse de l'argent pour le futur de sa planète, mais est-ce bien sûr ? Cette fable grinçante et glaçante sur les pays sous-développés, leurs dirigeants, et leurs rapports avec les pays occidentaux n'a hélas rien perdu de son actualité.
Aux trois éléphants est écrit sous la forme d'un échange de lettres entre l'éditeur et un collectionneur autour d'une édition rare d'un roman célèbre. J'ai beaucoup aimé cette nouvelle qui est un bel hommage à Jules Verne, avec une touche de fantastique qui lui aurait sans doute plu.
Tri sélectif : vous pensiez que la météorite responsable de l'extinction des dinosaures était un accident ? Erreur ! C'était dû au système de tri des déchets des Grouvériens. C'est une bonne idée de clôturer les textes du recueil par cette pochade amusante.
Tous ces textes dessinent l'image d'un auteur doué, éclectique, sensible au temps dans lequel il vivait, et qui ne se prenait pas au sérieux. Ils sont assez variés pour que chaque lecteur ou lectrice y trouve son bonheur. En somme, une lecture plaisante pour ceux qui connaissaient déjà l'auteur, autant que pour ceux qui voudraient avoir une idée de son style, ainsi bien sûr que pour les amateurs et amatrices de nouvelles.