Les Chroniques de l'Imaginaire

Les contreforts - Sire, Guillaume

Du haut de leur promontoire rocheux, les Testasecca habitent depuis plusieurs générations un château-fort, désormais menacé par le temps et les intempéries. Faute d'argent, la famille actuelle répare comme elle le peut murs et toitures. Mais leur demeure est de plus en plus menacée de ruine et l'honneur de leur lignée joue contre eux : il s'agit d'un monument historique. Si les habitants ne peuvent en assurer la sauvegarde, l’État a le droit de les exproprier pour ramener la propriété dans son giron, à des fins patrimoniales.

Pierre a quinze ans et, dans les environs, on le regarde d'un mauvais œil. On dit que, lorsque l'incendie a frappé la forêt et qu'il a été miraculeusement retrouvé vivant, c'est parce que la légendaire sinagrie Loghauss l'a sauvé. Les superstitions sont tenaces dans les campagnes. Pierre et sa sœur Clémence, dix-sept ans, forment un duo soudé antinomique. Il est le solitaire qui part tuer le gibier dans la montagne, elle est la forte tête, têtue, ingénieuse, bricoleuse hors pair qui tient à bout de bras le château, là où leur père s'accroche à ses solutions vouées à l'échec. Léon n'arrive pas à passer la main, et continue de rêver qu'un jour ses vignobles retrouveront leurs lettres de noblesse. Quant à son épouse Diane, elle se noie dans les sempiternelles démarches administratives.

Les Testasecca tiennent le rôle de David face à Goliath mais ils iront jusqu'au bout, quoi qu'il en coûte.

Les contreforts est un roman aux problématiques multiples. Il ancre son histoire dans la région des Corbières et rend compte d'un folklore local peuplé de légendes. Il témoigne aussi de la vie rurale, de ses difficultés et des tensions qui peuvent surgir lorsque tout le monde se connaît et que des clans se forment. Le meilleur ami de Léon, parrain de Pierre, gendarme qui le moment venu devra choisir entre la loyauté à son métier ou à ses amis, incarne particulièrement cette dimension-là. Plus important encore, on voit les murailles administratives auxquelles se heurtent des exploitants qui ne demandent rien de plus que de vivre de leur travail. Pour les Testasecca, c'est bien pire encore. On veut les dépouiller de leur patrimoine, de leur héritage, de tout ce qui les définit.

Si par tous ces aspects, ce roman est passionnant, Les contreforts ne se réduit pas à un roman social et rural, loin s'en faut. La patte romanesque et poétique de Guillaume Sire est prodigieuse et fait vibrer le lecteur à chaque page. Le récit est porté par des personnages auxquels on s'attache d'emblée et qui forcent notre admiration tant ils sont courageux et déterminés à ne pas sombrer. Malgré les épreuves qui les attendent et ne les épargneront pas.

Un roman à la fois tragique et lumineux qui m'a époustouflée et profondément émue.