Les Chroniques de l'Imaginaire

Quand on eut mangé le dernier chien - Niogret, Justine

Douglas Mawson, avec ses compagnons Xavier Mertz et Belgrave Ninnis, sans oublier leurs dix-sept chiens groenlandais, part vers le pôle Sud en suivant la côte, afin de cartographier cette zone encore inconnue. En effet, même si Amundsen a atteint le pôle l'année précédente, la plus grande partie du continent antarctique est encore une terre vierge.

Mais quand on est sur place, de fragiles humains confrontés à l'implacabilité de la glace et du vent, tout cela ne compte guère. Ce qui a de l'importance, c'est de pouvoir manger, de nourrir les chiens, c'est d'avoir avec soi des compagnons d'humeur égale et capables de supporter les plus grandes privations.

Comme précisé par l'auteure en postface, ce roman est tiré d'une histoire vraie. Il se rapporte à l'expédition antarctique australasienne, qui a eu lieu entre 1911 et 1914, et plus spécifiquement à la partie effectuée par Mawson et ses deux compagnons pendant l'été antarctique 1912/1913.

Ce qui intéresse Justine Niogret, toutefois, ce n'est pas les détails de l'expédition, mais comment les trois hommes l'ont vécue, ce que chacun a pu en retirer, et comment chacun des deux survivants a vécu la mort du plus jeune, le premier à disparaître. C'est cette disparition qui change d'ailleurs le ton du roman, en changeant la vie de Mertz et Mawson, et leurs rapports, avec la modification psychologique qui va affecter Mertz de plus en plus profondément. Tout cela est finement rendu, ainsi que les changements physiologiques causés par le froid extrême et les privations, puisque la plus grande partie des provisions a disparu avec le traîneau perdu...

La dernière partie, où l'on voit Mawson seul, est non seulement touchante en soi, mais aussi exemplaire, au sens littéral du terme, en ce qu'elle montre de quelle force, de quelle endurance un être humain est capable, alors même qu'il n'y a pas de véritable enjeu. En ces temps où l'on pourrait être porté à désespérer de l'humanité, un tel rappel ne va pas de soi, et est d'autant plus salutaire.

C'est remarquablement écrit, l'autrice navigant à merveille entre les écueils du détachement et de la morbidité. Les lecteurs et lectrices familiers de ses ouvrages précédents retrouveront dans celui-ci son attention au corps, le caractère charnel de son écriture, mais aussi sa capacité à mettre en scène des personnages à la fois profondément humains et plus vrais que nature. En somme, une incursion fort intéressante dans la littérature blanche, si j'ose dire.