Laurel et son frère Hank vivent au fond d'un vallon dans la ferme héritée de leurs parents. L'endroit est sombre, le soleil ne s'y montre jamais. Pour les habitants de la ville voisine, cette terre est maudite, hantée par des esprits et des morts. Quant à Laurel, on l'appelle la sorcière parce qu'elle a la malchance d'avoir une tache de naissance, marque pour les habitants de cette contrée de sorcellerie. Depuis qu'ils sont enfants, ils subissent les insultes, les mesquineries, Laurel surtout. Pour Hank, c'est plus facile depuis qu'il est revenu de la guerre avec une main en moins, car là-bas on respecte les vétérans. Seul leur voisin Slidell est leur ami et les aide régulièrement pour les travaux de la ferme.
Depuis quelques temps, Hank s'acharne à remettre la ferme d'aplomb, à la rendre vivable sous l’œil lointain de son futur beau-père. Laurel est persuadée que c'est pour le convaincre qu'il fait tant d'effort, pour lui montrer que même avec une main en moins il est capable de s'occuper d'une ferme et d'une famille. Elle attend la venue de sa future belle-sœur avec plaisir, comme ça elle se sentira moins seule, elle pourra se confier, discuter, se sentir revivre. En attendant, elle aime se balader seule au fond du vallon et aller jusqu'à un endroit où la lumière est présente, où elle laisse vagabonder son esprit, où elle se sent libre.
Jusqu'au jour où une musique lointaine l'attire, une musique si belle qu'elle part à la recherche du musicien. C'est un jeune vagabond qu'elle découvre. Elle l'épie pendant plusieurs jours quand elle le retrouve inanimé et le ramène à la maison. Ce vagabond s’appelle Walter, il est muet et reste très mystérieux sur les raisons de sa présence dans la région. Laurel finit par convaincre Hank de l'engager pour l'aider aux travaux, car elle sait que Walter va bouleverser sa vie.
Mais la présence de cet étranger, si elle fait le bonheur de Laurel, ne va pas être sans conséquence et révélera la face noire de certains des habitants.
Je n'avais jamais lu de Ron Rash jusqu'à présent et ce fut une belle découverte. L'auteur nous installe dans une atmosphère sombre, il plante à merveille son décor, dispose ses personnages et tisse le fil de son histoire. Dès le départ, on sait qu'un malheur va arriver, que tout va mal se terminer. On sent que c'est inexorable en dépit de quelques moments d'espoir et de joie. Si ce roman est noir, l'écriture ne l'est pas, c'est beau, sa description des paysages et cette nature si écrasante est magnifique. Le personnage de Laurel est lumineux et apporte un peu de joie et d'optimisme au milieu de cette atmosphère sinistre. Walter et sa musique si belle sont de véritables notes d'espoir au sein de cette ferme si désespérante de tristesse et d'ennui.
Ron Rash nous dépeint à merveille l'ignorance des hommes, leur bêtise qui les conduit souvent à commettre les pires atrocités. Il nous montre comment les hommes se montent la tête, comment les haines anciennes les poussent à la sauvagerie et comment l'effet de groupe laisse libre cours aux pires folies. On sent la montée de la violence et on espère que celle-ci ne va pas tout dévaster, ne pas empêcher cette jeune femme de vivre enfin sa vie loin de cette bêtise crasse et de cette ignorance.
L'auteur sait rendre cette atmosphère âpre, sombre et sait glisser quand il le faut quelques moments pleins de grâce pour apporter un peu de lumière à son récit. Mais on sait que ça ne va pas durer et l'on voit la situation se tendre, la violence monter inéluctablement jusqu'au final forcément tragique.
La fin est vraiment d'une grande tristesse et désespérante mais que c'est beau !