Le capitaine Dacien et ses hommes se la coulent douce à Assale, prospère port de Caldécie. Ils l'ont bien mérité, après tout ce temps passé à combattre dans les armées de la Fédération. On dirait pourtant qu'ils vont devoir reprendre du service, car la rumeur faisant état de navires volants au large des côtes semble avoir un fond de vérité…
Les Kinosh arrivent de l'autre côté de l'océan et, si leur langue est incompréhensible pour les Caldéciens, leurs actions parlent pour eux. Grâce à leur technologie avancée, ils n'ont aucun mal à s'installer à Assale en conquérants, au grand dam de Dacien. Ruminant la défaite, celui-ci se retrouve bientôt à la tête d'un mouvement de résistance à l'envahisseur, ironiquement baptisé Miska, c'est-à-dire « dégage ! » en kinosh.
Pour son premier roman, Eva Martin n'a pas fait les choses à moitié. Avec ses cinq-cents pages bien remplies, Miska est un livre long et dense où il se passe beaucoup de choses et qui aborde beaucoup de thématiques ; un autre écrivain en aurait peut-être tiré un diptyque, voire une trilogie.
Les aventures de Dacien et de sa bande de bras cassés se laissent suivre avec plaisir grâce à une plume alerte. Leur univers ne sort pas des sentiers battus de la fantasy, mais il est conçu avec un soin du détail poussé avec une grande rigueur, à l'image de son système de magie qui constitue un des fils secondaires de l'intrigue.
L'intrigue se déroule quant à elle de manière linéaire, en alternant entre le point de vue du capitaine Dacien et celui d'Azalon le Kinosh. C'est une manière simple d'éviter le manichéisme en montrant qu'il y a du bon dans les deux camps. Le tout ne manque pas d'une certaine naïveté : il est réconfortant de se dire qu'il suffit de quelques hommes de bonne volonté pour arrêter les guerres, mettre un terme à l'exploitation sauvage des ressources naturelles, améliorer la condition des femmes et autres progrès, mais l'Histoire (la nôtre) ne nous en offre pas énormément d'exemples. Cet aspect du livre vous convaincra peut-être davantage si vous êtes moins misanthrope que moi.
Ce message somme toute optimiste est présenté sous une forme étrangement sombre par moments, avec des descriptions de tortures et de supplices dignes d'un G.R.R. Martin ou d'un Joe Abercrombie. Si le pessimisme confinant au nihilisme de ces auteurs est diamétralement opposé à la vision d'Eva Martin, le fait est qu'il s'harmonise mieux avec les viols et autres sévices qu'on peut trouver dans leurs livres à tous les trois. Cette dissonance me semble nuire au propos de Miska et fait de sa lecture quelque chose à réserver à un public averti.
Pour autant, ce public aurait tort de s'en priver s'il est friand de mondes de fantasy bien conçus et d'histoires qui ne craignent pas d'aborder des thèmes d'actualité. C'est le genre de premier roman dont les qualités donnent envie de garder un œil sur la suite de la carrière de son autrice.