Les Chroniques de l'Imaginaire

L'art du vertige - Lehman, Serge

Cet ouvrage critique est intensément personnel. On me dira que tout écrit l'est forcément, et que tout critique parle de soi en chroniquant l'oeuvre d'un.e autre. Dans ce cas particulier, toutefois, Lehman revient dans sa préface sur la profonde crise existentielle qui, pour partie causée par sa difficulté à écrire, a donné lieu à la transformation de son lien à l'écriture. Pendant ces "Mille jours de nuit", il n'a cessé de réfléchir sur ce qui constitue la science-fiction, et qu'il désigne sous le terme "art du vertige" comme version française du "sense of wonder" anglo-saxon.

Les textes critiques rassemblés ici, tous écrits entre 2005 et 2012, sont des critiques de romans ou d'anthologies parues "Au Monde", mais principalement des préfaces, notamment celle de Chasseurs de Chimères, mais aussi celle du roman La Paille dans l'oeil de Dieu, de Larry Niven et Jerry Pournelle, la postface de l'encyclopédie Les Terres creuses, de Guy Costes et Joseph Altairac, où l'on relit Voyage au centre de la Terre, de Jules Verne, comme roman emblématique du genre.

Tous ces textes mettent en relief un rapport de fascination à la science-fiction, vue comme le genre par excellence où peuvent se déployer les interrogations existentielles et métaphysiques, thème développé principalement dans Un souvenir du Sac à Charbon, L'Empire uchronique de Jean-Ferdinand Choublanc et Le retour des Humanoïdes. Par là même, ils nous portent à interroger notre propre rapport de lecteur ou lectrice au genre. Qu'est-ce qui, en nous, déclenche, le mouvement d'écrire ou de lire de la science-fiction ?

La réponse, partielle et provisoire, qu'apporte Lehman, dans les textes regroupés sous le titre Le problème de la métaphore, est que le genre utilise ces dernières, et les images en général, pour "éclairer le monde"*, qu'en les "réifiant"* il leur donne une épaisseur, oserai-je dire "de réalité", qui ne peut guère être élaborée - ou trouvée, dans le cas du lecteur/de la lectrice - ailleurs en littérature : "en fin de compte, l'introuvable science de la SF n'est que l'épaisseur de notre existence quotidienne. Et la fiction... les laisse pour ainsi dire sourdre de sa propre substance, comme une prérogative due à son autonomie"*. Si l'on revient aux origines du mot poésie, on pourrait dire que les auteurs et autrices de science-fiction sont dignes du titre de poètes, en ce qu'ils et elles fabriquent, construisent, ou changent, le monde par leur oeuvre.

Au final, une somme d'essais très personnels, je l'ai dit, que chacun et chacune pourra s'approprier selon ses propres biais de lecteur et lectrice pour poursuivre les réflexions exposées ici. La lecture en est exigeante, mais l'auteur, comme l'Hermite du Tarot, en éclaire le chemin.

* extrait de La légende du processeur d'histoire.