2056, une temporalité future qui nous paraît si loin et qui pourtant annonce, dès les premières lignes, une proximité immédiate. Imaginez un environnement où les nombreux avertissements face à l’imminence du changement climatique n’ont plus cours puisque les menaces sont devenues réalité.
Les écologistes ont enfin eu toute légitimité pour arriver au pouvoir et mettre fin au libéralisme outrancier des décennies précédentes. Des mesures drastiques sont imposées aux populations, c’est la fin des grandes enseignes et le démantèlement des zones commerciales, avides en espaces naturels et terres agricoles, qui signent le retour des petits commerces et services de proximité.
Certains mets sont devenus denrées rares voir même des produits de luxe, comme la viande, le poisson ou encore les fruits de mer, distribués par d’insolites magasins spécialisés, secrètement gardés en permanence, loin des yeux et de la bouche du grand public.
La montagne est à présent très protégée, mais aussi passée au peigne fin. Plus sauvage qu’avant, plus préservée, mais totalement surveillée. Rien n’échappe au maillage mis en place par les dernières politiques environnementales. Surveillance électronique, animaux badgés, caméras pilotées à distance, capteurs pénétrant les glaciers, la montagne est minée par les sondes et truffées de mouchards, sur écoute en permanence.
Pourtant, elle est plus que jamais imprévisible. Quelque chose semble demeurer dans sa brutalité. Et c’est par le retentissement d’une sirène au beau milieu de la nuit que le danger surgit au cœur d’une vallée d’altitude où vit depuis toujours Lucie.
L’alarme persiste, réactivant une peur ancienne et des réflexes de survie face à la menace imminente de la rupture d’une poche d’eau sous pression nichée dans le ventre du glacier au-dessus du village.
Peu de temps avant le déclenchement de l’alerte, Lucie a reçu un appel de Clémence, sa sœur jumelle, disparue depuis trente ans. Celle-ci voulait pouvoir se cacher dans la grange familiale, à l’abri des rumeurs qui circulent à son sujet.
Mais Lucie, qui a grandi dans la crainte et l’ombre de cette sœur à problèmes, voit son retour comme une autre menace potentielle pour elle et ses proches. Alors que l’urgence et les consignes d’évacuation accentuent l’angoisse et la fin des libertés, les deux sœurs pourraient bien être rattrapées par le passé de Clémence…
Une lecture très anxiogène pour laquelle j’ai eu, en toute honnêteté, beaucoup de difficultés à avancer. C’était parfois émotionnellement lourd et désagréable d’assister, passif et impuissant, aux dégâts dévastateurs qu’une seule personne peut occasionner sur l’ensemble des membres d’une famille.
Les allers-retours entre l’angoisse d’un péril physique imminent juxtaposé aux souvenirs douloureux d’une enfance meurtrie par des relations familiales toxiques contribuent néanmoins à construire un thriller psychologique, et écologique, efficace et percutant.
Le parallèle incessant entre le danger de la montagne et la peur de cette sœur tyrannique, qui, comme la lave d’eau et de glace, avale et ensevelit toute la famille, distribue tout au long des pages inquiétude et adrénaline pour cacher un problème de fond que l’on n'a qu’une hâte c’est de le voir percé à jour.
Au lieu de ça, les répétitions et le rythme soutenu maintiennent les palpitations et accentuent le poids des blessures accumulées au fil des ans. Une lecture en apnée où l’on a nous aussi l’impression, âpre et malaisante, d’étouffer.
Le plus étrange, c’est que l’on en ressort avec la sensation que, justement, l’exercice ne s’en trouve que plus réussi puisqu’inlassablement les deux histoires, celle de l’humain et de la montagne, se retrouvent étroitement liées. Dans leur complexité, leur sournoiserie et leurs réactions imprévisibles et incoercibles qui, pourrissent, rongent et emportent tout sur leur passage.
Tout se désagrège et, pour ne pas se retrouver enseveli avec, je conseillerai d’attendre et de trouver le moment adéquat pour accueillir cette lecture sous peine de passer totalement à côté.