Les Chroniques de l'Imaginaire

L'Homme de Nulle Part (Sommeil des dieux - 5) - Gévart, Pierre

Quinze siècles après avoir quitté la Terre, le vaisseau de colonisation Prométhée - que ses habitants appellent le Monde-Promété - est toujours en route, renfermant une société qui vit en vase clos. Mais quinze siècle pour un engin prévu à l'origine pour un voyage de vingt ans, c'est beaucoup. Beaucoup trop, même. Et ce qui devait arriver arrive : un accident majeur. La paroi sur laquelle repose le fond de la mer craque, et celle-ci inonde le Khuirsher, la zone dévolue aux teks entre l'espace intérieur, occupé par les passagers, et l'espace extérieur, celui des étoiles lointaines.

Les dégâts sont énormes et irréversibles. Par effet domino, le Prométhée va bientôt perdre sa mémoire informatique centrale mais aussi l'alternance des jours et des nuits. Des catastrophes qui vont toucher durablement la société humaine du vaisseau.

Ce cinquième opus de la saga Sommeil des Dieux est divisé en deux parties. La première, L'homme de nulle part, couvre les deux tiers de l'ouvrage. On y voit les dirigeants du Prométhée confrontés à l'urgence, faisant ce qu'ils peuvent pour sauver la situation. C'est l'occasion pour le vieux Jonas Arbogast, Premsek à la retraite, de reprendre les rênes du pouvoir suprême, aidé par son épouse Armisia.
C'est également l'occasion de faire connaissance avec l'homme qui donne son titre au roman, et qui a choisi bien malgré lui le plus mauvais moment pour frapper à la porte du Prométhée : Obote, ex-dirigeant de la planète Khôpné renversé par une société de femmes. Il y a accueilli le roi Rhone, qui avait quitté le Prométhé pour partir en avance vers la planète destination, et décidé de retourner vers le vaisseau à sa place. La relativité aidant, le voilà donc de retour plusieurs siècles plus tard, alors que le roi Rhone n'est plus qu'une légende pour les descendants de ceux qui l'ont vu partir...

Dans la deuxième partie, La Diseuse, on voit comment Yléna, une jeune femme hypermnésique, devient la mémoire vivante du vaisseau après la disparition tant des archives informatiques que des copies papier méticuleusement réalisées et collectionnées par les religieuses de Ghulzaz.

J'avoue avoir eu plus de mal à m'attacher aux personnages que dans les tomes précédents. Peut-être parce que, comme le roman est découpé en deux parties distinctes mettant en scène un temps et des protagonistes différents, on a moins le temps de les découvrir et s'y attacher. Ou parce qu'ils sont moins frappants que certains de ceux rencontrés auparavant : il faut bien reconnaître que notre homme venu de nulle part, par exemple, semble bien palot, pressé qu'il est d'échapper à une situation moins engageante qu'il ne l'espérait. Seule Yléna échappe un peu à ce désintérêt, car le focus reste sur la Diseuse - et sa vie mouvementée - pendant toute la seconde partie.

Par contre, j'ai apprécié de voir l'évolution du Prométhée, justement ce qui me manquait jusqu'ici. Le matériel défaille sans qu'on y puisse grand chose. Les rares livres restants volent en poussière dès qu'on les exhume des chantiers de fouille des archéologues. Car oui, il y a désormais des archéologues, qui essaient d'en savoir plus sur le passé oublié. Pour les hommes et femmes du Prométhée, le passé s'est tellement brouillé qu'il s'est parfois amalgamé avec celui de la Terre, dont l'existence même est souvent remise en question. Ce qui n'aide pas, c'est que les rares livres d'origine retrouvés sont pris pour argent comptant, ou en tout cas les bribes qui semblent compréhensibles, alors que la plupart ne sont que de la fiction très fantaisiste ! C'est ainsi par exemple qu'un dirigeant mal inspiré a imposé de brûler tous les livres, puisque c'est la consigne donnée dans le livre de Bradbury...

Bref, ce qui est vraiment intéressant dans cette saga c'est de voir comment cette humanité coupée de ses sources se métamorphose au fil des années, des siècles, des millénaires. Dans ce tome, les choses bougent pas mal. Reste à découvrir la suite et fin dans le prochain tome La mort des dieux.