Dans un futur proche, l'humanité a enfin pris conscience des dégâts qu'elle cause à son environnement dans sa quête effrénée de croissance et de profit. De nouvelles structures politiques et sociales émergent et prennent à bras le corps les problèmes climatiques et environnementaux. Hélas, il est déjà trop tard pour enrayer la catastrophe. Toute régénération étant impossible, il faut se résoudre à un lent déclin. Hommes et femmes s'efforcent du mieux qu'ils peuvent de vivre sur une planète de plus en plus hostile à leur présence.
Un beau jour, ou plutôt une nuit, une astronome découvre l'apparition dans le ciel d'une planète inconnue, sortie comme qui dirait de nulle part. Ce phénomène inexplicable laisse la communauté scientifique perplexe. Une expédition est envoyée sur le nouvel astre, baptisé Sitive, afin d'en apprendre davantage à son sujet. Après tout, il pourrait s'agir d'une destination propice à un exode de l'humanité. Mais Sitive n'est pas une planète vierge, comme vont vite s'en rendre compte ses premiers explorateurs. Quant à leurs congénères restés sur Terre, la nouvelle planète va devenir pour eux une véritable obsession…
Commençons par ce qui frappe d’entrée avec Visite : la forme. Ce roman est rédigé dans un français différent de celui que l'on emploie ordinairement, une variante conçue pour réduire les biais de genre. Ainsi, les articles définis « le » et « la » laissent place à un unique « lae », ni masculin, ni féminin. Cette révision orthographique s’étend aux pronoms personnels (« yel » à la troisième personne du singulier) et à l'accord des adjectifs, qui se voient greffer des suffixes inattendus en -n. Même les substantifs ne sont pas à l'abri (« charlotte » devient « charlot »). C'est un parti-pris radical, qui déroute non par ses intentions mais par son ampleur : dans un paragraphe moyen, c'est facilement un mot sur trois qui prend ainsi une forme nouvelle. On s'y fait, mais cela prend du temps ; il m'aura bien fallu une centaine de pages avant de ne plus buter sur chaque échantillon de cette orthographe réformée. J'aurais apprécié de trouver en annexe une présentation en bonne et due forme des principes qui la régissent.
En réalité, ma lecture a surtout gagné en fluidité à partir du moment où j'ai commencé à survoler le texte. Le fait est qu'il ne se passe pas grand-chose dans Visite : on y suit un certain nombre de personnages qui mènent leurs vies respectives sur Terre sans jamais se croiser. Certains sont plus intéressants que d'autres, j'ai notamment apprécié le point de vue sur le handicap offert par quelques-uns, mais dans l'ensemble, il ne leur arrive pas grand-chose et ils ne font pas grand-chose non plus. Les suivre permet principalement de découvrir la manière dont fonctionne la société du futur, qui a rejeté les excès de la nôtre et s'efforce de respecter davantage l'environnement. Ces principes louables sont en butte à une réalité froide et sinistre, l'impression qu'il est déjà trop tard est omniprésente et l'ambiance générale n'est donc pas à la fête. Les interventions régulières d'un personnage qui ressasse les échecs de notre modèle de vie actuel ne rendent pas les choses moins pesantes.
L'autre grand fil narratif de Visite est constitué par les journaux intimes de quelques membres de l'expédition envoyée sur Sitive. Ce sont ces passages qui m'ont le plus donné envie de poursuivre ma lecture : confrontés à une forme de vie radicalement autre, ces femmes et ces hommes tentent comme ils le peuvent d'en percer les mystères, mais chaque découverte qu'ils font apporte son lot de nouvelles questions. Dommage que le livre s'achève sans apporter de réponse aux nombreuses questions qui se posent encore à ce moment-là.
Somme toute, je dois dire que je n'ai pas été convaincu par Visite. Sa société du futur ne m'a pas autant séduit que celle d'Eutopia, sa planète extraterrestre ne m'a pas autant marqué que celle de Solaris, et son parti-pris langagier radical ne m'a pas aidé à m'immerger dedans. C'était une lecture intéressante et je ne regrette pas d'y avoir consacré du temps, mais j'ai le sentiment d'être passé à côté.