Les Chroniques de l'Imaginaire

Les terres closes (Les maîtres enlumineurs - 3) - Bennett, Robert Jackson

Huit années se sont écoulées depuis la terrible nuit des Trombes qui a vu l'anéantissement de la ville de Tevanne et la naissance d'une nouvelle entité aux pouvoirs divins, elle aussi appelée Tevanne. Son empire s'étend désormais sur la majorité du monde connu, ses habitants sont complètement asservis à sa volonté et sa soif de pouvoir semble sans limite, même si son objectif ultime reste difficile à entrevoir. Désire-t-elle réellement effacer et réécrire toute la réalité ?

Pour Sancia, Berenice, Clef et leurs camarades, ces huit années ont été une lutte constante contre Tevanne. Grâce à leur maîtrise des enluminures, ils ont réussi à préserver une enclave libre, cachée dans les îles de Giva, d'où ils lancent des raids ponctuels contre l'empire ennemi. Cette situation ne peut durer, et les Givans savent qu'ils ne peuvent vaincre les légions de Tevanne à la loyale. Pour avoir une chance de survivre, il va leur falloir concevoir un plan désespéré dans lequel Crasedes Magnus, le premier des hiérophantes, pourrait bien avoir un rôle à jouer.

Ce troisième tome de la trilogie des Maîtres enlumineurs est très différent des deux autres. Il pouvait difficilement en aller autrement, vu la manière dont la fin du tome 2 avait réduit à néant le statu quo. La ville de Tevanne a disparu et deux personnages importants aussi, ce qui prive la série d'une partie de son charme dans la mesure où ni la civilisation de Giva, ni les nouveaux personnages introduits ici ne sont suffisamment développés ou attachants pour compenser.

Les enjeux aussi ont changé. Finies les histoires de casses audacieux, cette fois-ci, c'est la guerre ! Toute la première partie du roman est consacrée au récit d'opérations militaires de grande ampleur, avec navires de guerre, engins explosifs mortels et tutti quanti. L'objectif évident est de rendre palpable l'ampleur et l'horreur des ressources dont dispose Tevanne, ainsi que les nouvelles compétences acquises par les protagonistes, mais puisque c'est le début du livre, on sait pertinemment qu'il n'en sortira rien de crucial pour la résolution des grandes questions de la trilogie. Résultat : le démarrage du livre est sérieusement poussif.

En outre, Robert Jackson Bennett est plus fier que jamais de son système de magie. Il a bien raison : les enluminures sont une excellente idée dont il n'a de cesse de pousser les conséquences logiques jusque dans leurs derniers retranchements avec une malice consommée. Il lui permet même des réflexions philosophiques intéressantes sur la nature des sociétés et l'individualité. Mais à ce stade, j'ai le sentiment qu'il est tombé un peu trop amoureux de sa création. Les scènes d'action sont parfois dignes d'un film de super-héros, avec des personnages qui communiquent le plus souvent par télépathie, se déplacent à toute vitesse avec leurs grappins magiques, protégés par leurs armures magiques, tandis que les dialogues se résument trop souvent à l'exposition de nouvelles astuces magiques imaginées par tel ou tel enlumineur pour résoudre tel ou tel problème. On se retrouve avec une masse de jargon presque digne d'un épisode de Star Trek, ce qui n'est pas peu étonnant pour un roman de fantasy.

Après cette première partie un peu décevante, les choses s'améliorent une fois qu'on se retrouve dans une situation plus familière, avec Sancia et sa petite clique lancés dans une mission apparemment sans espoir derrière les lignes ennemies. Néanmoins, la sauce ne prend pas entièrement. Le ton est nettement plus sombre, on ne retrouve pas la magie et l'humour mordant des tomes précédents. Sancia et Clef sont tous les deux franchement dépressifs, ce qui se comprend vu leurs situations respectives, mais rend la lecture de leurs tribulations d'autant plus pesante.

J'ai tout de même fini ce roman sans déplaisir et la confrontation finale est adéquatement épique, même si la grande révélation finale n'a pas du tout été une surprise tant elle est évidente et télegraphiée en avance ; encore un point sur lequel le livre s'avère inférieur à ses prédécesseurs. Il faut dire que Robert Jackson Bennett avait placé la barre très haute avec Les maîtres enlumineurs et Le retour du hiérophante. Si Les terres closes est décevant, c'est surtout à l'aune de ces deux-là ; c'est autrement un roman de fantasy tout à fait correct, qui offre une conclusion adéquate aux aventures de Sancia et compagnie.