Nia est une forgeronne du Peuple du Fer. Ce n'est toutefois pas là que la rencontre Lixia. En effet, Nia a été chassée par son Peuple après avoir aimé un homme, et vécu avec lui. Cela ne se fait pas : les hommes vivent seuls, les femmes vivent en village, où elles élèvent les enfants, et n'ont affaire aux hommes qu'à la saison de l'accouplement. Les talents de forgeronne de Nia lui permettent d'être relativement acceptée par le Peuple du Cuivre, où elle a néanmoins un statut particulier, entre appartenance au village et exil extérieur, à l'égal des hommes.
Quand la chamane du Peuple du Cuivre est contestée pour avoir admis Lixia, dont l'absence de fourrure la fait accuser d'être un démon, il est logique que celle-ci soit accueillie chez Nia, avant que toutes deux ne décident de partir ensemble. Lixia n'est pas native de la planète, mais a été détachée en exploration par un vaisseau terrien en orbite. Ses passagers et membres d'équipage ont voyagé plus d'un siècle, en animation suspendue, pour explorer cette nouvelle planète. Ce qu'ils y feraient une fois arrivés reste à discuter. Et les discussions vont bon train à bord, pendant que Lixia, sur le terrain, voyage avec Nia, puis avec la Voix de la Cascade, un autochtone mâle rencontré en route, et Derek, un collègue à elle.
Je regrette vraiment que ce roman n'ait pas été traduit en français plus tôt. D'une part parce que sa qualité intrinsèque l'aurait indubitablement justifié, bien sûr, mais surtout parce que l'aspect terriblement daté qui m'a gênée à la lecture n'aurait pas existé. Au moment de sa parution, et dans les années suivantes, l'importance de l'union soviétique, du socialisme, du marxisme, et de leurs apports respectifs, restait d'actualité, et ce n'est plus vraiment le cas de nos jours, ou du moins d'une façon totalement différente. Par ailleurs, la question de genre, et le féminisme, en science-fiction, ne sont plus du tout traités de la même façon, et j'ai eu l'impression d'une approche schématique, manquant de profondeur et de nuance, de façon très certainement injuste, due à l'évolution de la littérature de genre, et du genre, depuis.
Le roman fait clairement penser à l'oeuvre d'Ursula K. Le Guin, d'une part à La main gauche de la nuit, avec cette relation inter-personnelle entre humaine et alien, et d'autre part à Le nom du monde est Forêt, paru en 1972, qui met en scène une confrontation entre occupants autochtones d'une planète et humains colonisateurs de la pire espèce, et que l'autrice des Nomades du Fer connaissait très probablement.
Il n'empêche que l'oeuvre d'Arnason est originale, et intéressante en soi. La discussion entre les Terriens sur les risques qu'il peut y avoir à intervenir ou non sur une planète étrangère habitée, en lien avec le traumatisme de ce qui s'est passé sur Terre pour les peuples autochtones des différents continents, bien que parfois longuette, reste d'actualité. La façon dont, pour les autochtones de la planète, l'étranger est forcément bienvenu puisqu'innocent, est une bouffée de fraîcheur en ces temps de xénophobie galopante. Enfin, l'habileté de l'autrice réside en ce qu'elle montre subtilement que la société de la planète est déjà en train de changer, ce que manifestent non seulement Nia et l'oracle, chacun à sa manière, mais aussi Tanajin ou le jeune Anasu.
Le rythme du roman est lent, de façon parfois frustrante quand toute possibilité d'action semble s'arrêter pour laisser le temps de raconter un conte sur les différents êtres surnaturels, ou sur d'autres usages. La fin ouverte laisse aussi beaucoup de questions en suspens quant aux rapports tant des Terriens entre eux que de ceux avec les autochtones. Les personnages principaux sont fouillés et attachants, traités avec tendresse par leur auteure.
En somme, c'est une excellente idée des éditions Argyll d'avoir traduit ce roman important, justement couronné de deux prix en son temps, même si c'est un peu trop tard.