Le jeune Francis Berthelot suit avec plus ou moins de facilité et de bonheur les traces de son frère aîné, Serge, sur un parcours d'excellent élève visant à le mener à une GES (lisez : Grande Ecole Scientifique). Même si son rêve est d'être écrivain, son physicien de père et sa directrice d'école de mère refusent d'en entendre parler autrement que comme d'un loisir.
Il peine, mais il se conforme aux attentes. Il dissimule aussi à sa famille qu'il n'aura vraiment aucun mal à se borner à la "saine camaraderie entre garçons et filles" prônée par sa mère, du fait que ses goûts le portent vers les garçons. Tout ça va durer, tant bien que mal, jusqu'à ses dix-huit ans, où une rencontre va changer sa vie.
Et transformer cette autobiographie en une uchronie personnelle.
Le roman (en est-ce un, d'ailleurs ? Oui, non, pas vraiment, quoique... ?) comporte deux parties. J'imagine que la seconde est davantage fantasmée que la première, puisque l'auteur lui-même l'a mentionné dans son Avertissement de début de livre. Je ne prendrais pas pour autant la précédente pour argent comptant dans tous ses détails. En tout cas, j'y ai retrouvé intact le mauvais vieux temps des années 1950-1960, quand l'homosexualité était à la fois impensable et réprimée, par la loi et/ou par la médecine.
S'il est difficile de trancher entre fiction et non-fiction, il l'est tout autant de choisir dans quel genre placer cette chronique, et j'ai longtemps hésité entre SF et littérature générale. C'est finalement le titre qui a déterminé mon choix. L'auteur change toutefois la donne en se saisissant de la notion d'uchronie pour l'appliquer à sa propre vie. Ainsi crée-t'il dans ses moindres détails un double libéré des contraintes familiales, vivant à la fois son homosexualité et l'éclosion de son talent d'écrivain, au sein d'un univers germanopratin à la fois baroque et crédible. Le théoricien des Transfictions, décrites dans son essai Bibliothèque de l'entre-monde, illustre le terme avec brio dans cette oeuvre.
Les lecteurs habituels de l'auteur y retrouveront son style à la fois lyrique et précis, et reconnaîtront l'un des décors importants de Rivage des intouchables, par exemple, ainsi bien sûr que des types de personnages qui reviendront dans toute son oeuvre. Ceux-ci sont écrits avec tendresse, tout en douceur et nuances. Le long silence de l'écrivain Berthelot semble avoir rendu son écriture encore plus lumineuse, empreinte d'une grâce grave et ironique qui lui appartient en propre.