En 1917, Edouard Roux participe à la grande guerre, au cours de laquelle une frappe plus terrible que les autres vient lui arracher la moitié du visage. N'osant plus se montrer à sa mère et aux habitants de son village dans le Vercors, il vit à Grenoble, la tête cachée dans un sac dès qu'il sort. Sans compagnie si ce n'est celle de la boisson, il se laisse aller à la déprime. Loin des paysages de son enfance et de la relation singulière que les femmes de sa famille entretiennent avec la nature depuis des générations.
Lorsqu'un jour, tout change. On lui conseille de monter à Paris voir Jeanne Sauvage, une artiste qui s'occupe aussi de confectionner des visages pour les gueules cassées. Pour leur redonner une dignité et un laissez-passer dans la société. Jeanne accède à la demande d'Edouard de lui fabriquer un visage de kouros grec. Il est à présent beau comme un dieu, avec son nouveau visage sur son corps d'athlète. Jeanne était attendrie par cet homme, elle est maintenant amoureuse.
De nouveau présentable, Édouard ose retourner chez lui et fait découvrir à Jeanne le Vercors et la maison qu'il habitait avec sa mère, décédée depuis. Jeanne tombe sous le charme de l'immensité de la nature, de l'air pur, de la vie sauvage qui l'entoure. Et Édouard a un secret à lui confier, qui va permettre à Jeanne de montrer l'étendue de son talent d'artiste. Elle va modeler un ours, plus sauvage que le lisse ours blanc de Pompon, un de ses amis. On trouvera aux côtés de Pompon d'autres artistes connus et reconnaissables qui inscrivent ce récit fictif dans une réalité plausible.
L'ours est le fil rouge de cette magnifique bande dessinée. Jean-Marc Rochette dessine sa présence dans le Vercors au fil des siècles, et fait assister Édouard au meurtre du dernier ours en 1898. L'ours est son animal totem et il n'aura de cesse de défendre sa cause et son habitat, de façon silencieuse mais audible malgré tout pour qui tend l'oreille.
Le dessin est sombre et hachuré, trahissant l'atmosphère lugubre qui plane pendant tout le récit et matérialise la noirceur que l'homme fait peser sur la nature et sa propre destinée. Mais l'amour transperce les ténèbres et éclaire l'histoire : les amis bienveillants, l'amour pur entre Jeanne et Édouard, le lien précieux avec l'ours. La dernière reine, l'ourse qui par sa mort annoncera la fin des temps, n'a pas dit son dernier mot.
C'est un roman graphique dense, majestueux et émouvant. Un coup de cœur.