Par une belle nuit étoilée, le narrateur, en proie à de grandes incertitudes métaphysiques, décide d'aller prendre l'air au sommet d'une colline voisine. Assis dans les bruyères, il se sent soudain emporté dans les airs et son esprit survole la Terre d'un bout à l'autre avant de s'élancer dans le cosmos infini. Cet incroyable périple l'amène à découvrir de lointaines civilisations extraterrestres et à se lier avec d'autres voyageurs interstellaires. Leur conscience s'élève à des niveaux inouïs et leur permet de dévoiler l'histoire de toute la galaxie. Cette compréhension accrue des rouages de l'univers les rapproche toujours davantage de l'aboutissement de leur parcours : la rencontre du Créateur d'étoiles, l'être à l'origine de toutes choses.
Créateur d'étoiles est un roman singulier. Il se présente comme le témoignage du narrateur, qui raconte a posteriori ses expériences intersidérales, en s'excusant régulièrement d'être incapable d'en reproduire les nuances avec un outil aussi grossier que le langage humain. Ce n'est pas faute d'essayer : la prose est d'une densité exceptionnelle et le propos d'une grande richesse philosophique et métaphysique. Le récit s'attache à décrire des événements d'une ampleur proprement cosmique, des origines de l'univers à sa fin, avec une telle hauteur de vue (un seul personnage est nommé de tout le livre) qu'il se lit presque davantage comme un essai que comme un roman de science-fiction.
Cela n'en fait pas pour autant un pensum aride, car l'imagination débridée d'Olaf Stapledon offre quantité d'images frappantes. Au fil du texte, on croise ainsi des races extraterrestres toutes plus fantastiques les unes que les autres, des habitants de l'Autre Terre avec leurs plaisirs olfactifs aux hommes-plantes tiraillés entre leurs natures animales et végétales, en passant par les Nautiloïdes aux allures de bateaux et les Symbiotiques, alliance de deux races aux capacités complémentaires. Le point de vue du narrateur, qui ne cesse jamais de s'élargir, l'amène au bout d'un moment à se rendre compte que les planètes elles-mêmes, puis les étoiles, galaxies et nébuleuses sont elles-mêmes des formes d'êtres vivants doués de raison. De quoi ressortir passablement tourneboulé de sa lecture.
Les préoccupations profondes de Stapledon, confronté aux crises économiques et politiques des années 1930, sont perceptibles dans son récit où le pessimisme le dispute à l'optimisme. Elles font tellement écho à celles d'aujourd'hui que Créateur d'étoiles constitue encore une lecture tout à fait recommandable près d'un siècle après sa parution originale, même si ce n'est pas le genre de livre qui se finit en une soirée.
