Les Chroniques de l'Imaginaire

Dialogue avec le plus beau pays au monde - Tegang, Simon-Pierre

Dans ce texte qui se veut fictif, le narrateur Ngouono interroge le plus beau pays au monde sur le fonctionnement de la vie politique. Ou plutôt, il s'étonne. Comment cela, dans le plus beau pays au monde, le président de la république ne peut pas prétendre à un troisième mandat ? Et l'opposition peut réellement s'opposer ? La justice est indépendante ? Car dans le pays du narrateur, le Zombieland, les choses ne se passent pas du tout de la même façon.

Au Zombieland, le président peut l'être à vie s'il l'a décidé. Et il décide souvent ainsi. S'il sent qu'il n'est plus capable, il signe rapidement un document donnant les pleins pouvoirs à un autre. Un autre qui fait déjà partie de sa sphère privée. Les hauts fonctionnaires sont ses cousins, enfants, ou du moins des membres de sa tribu. D'ailleurs, ils vivent tous dans l'opulence aux frais de l’État. Un État dans lequel ils sont assez peu finalement, car ils passent beaucoup de temps à l'étranger, dans les biens immobiliers qu'ils ont achetés, profitant de l'argent de l’État qui a atterri dans leurs poches. Le président contrôle tout : l'économie, l'armée, la justice. De loin : interdiction de s'approcher sauf en s'agenouillant en marque de déférence. S'opposer est exclus, sauf si on veut finir derrière les barreaux (au mieux). Le ruissellement des richesses n'existe pas au Zombieland. Les pauvres sont maintenus sciemment dans la pauvreté. Un citoyen qui n'a plus faim réfléchit, et on ne veut pas que les pauvres réfléchissent.

"Dans mon pays, il n'y a que deux tribus : celle des patriotes qui pillent le pays sans état d'âme et la tribu des antipatriotes qui sont laissés-pour-compte, mais aiment le pays à en mourir, mais ne font rien ou presque, pour le défendre. Ces derniers subissent et se taisent."

Ce dialogue faussement fictif tend à rendre compte des régimes africains qui ont succédé aux régimes coloniaux. Les nouveaux dirigeants ont prétendu vouloir redresser leur pays mais, pour la grande majorité, il ne s'agissait que de s'enrichir personnellement et d'exercer un pouvoir autoritaire en répandant une atmosphère de terreur. En quelques pages, Simon-Pierre Tegang permet à son narrateur d'exposer tous les vices de ses dirigeants, pointant du doigt leurs comportements, en les mettant en opposition avec ce qu'il se passe vraisemblablement en France, les institutions du plus beau pays au monde se calquant parfaitement sur les nôtres. 

La démonstration de l'auteur, développée avec vigueur et ironie, dans une langue érudite et limpide, nous permet de comprendre ce qu'il se passe dans ces pays dont on n'arrive pas toujours à saisir l'actualité. A cet égard, ce texte est très intéressant et éclairant. C'est une porte d'entrée pertinente pour appréhender la question de certaines "démocraties" africaines.