Les Chroniques de l'Imaginaire

Le nageur d'Auschwitz - Leblond, Renaud

Renaud Leblond nous raconte l'histoire d'Alfred Nakache, de son enfance à Constantine jusqu'à sa mort près de Sète en mer. Alfred Nakache est né en Algérie dans une famille juive dont le père était très croyant. Son enfance dans cette famille, dans cette ville pleine de vie et de couleurs, sa peur irraisonnée de l'eau ne laissent en rien présager de son incroyable destin. Alfred va vaincre sa terreur et devenir l'un des plus grands nageurs d'avant guerre à force de travail et d'acharnement. Car le petit juif de Constantine n'est pas un esthète de la nage, sa force c'est la puissance de sa nage et surtout son caractère de combattant qui ne lâche rien et qui veut tout gagner. Pour assouvir sa passion et gagner des titres, il doit s'exiler à Paris où il subira des moqueries sur son style, son physique de la part de certains nageurs et d'un en particulier, Jacques Cartonnet. Pour avoir été largement battu dans le bassin, ce dernier ne lui pardonnera jamais et se vengera des années après pendant la guerre. Une inimitié qui lui coûtera cher.

On suit la vie d'Alfred Nakache, ses exploits de champion qui l'amènent au Jeux olympiques de Berlin et à des records du monde, sa rencontre avec sa femme Paule à l'adolescence, son départ à Paris puis la guerre. Alfred voit les choses évoluer autour de lui, les propos antisémites qui se déchaînent, les restrictions contre les juifs mais il garde toujours le sourire en souvenir de ce que lui disait son père. Il ne faut jamais rien montrer face aux attaques, à l'ennemi et garder toujours son calme. Alors Alfred subit stoïque, pensant que son statut de sportif et de champion va le protéger. Mais face aux menaces, son entraîneur lui conseille d'aller en zone libre pour protéger sa femme et sa fille Annie.

Dès le départ de ce roman nous savons qu'Alfred va être déporté, l'auteur alterne les chapitres avant la guerre et ceux se passant à Auschwitz. Nous suivons sa vie, ses exploits tout en sachant qu'inéluctablement il va être déporté avec sa famille dans un camp de concentration. En lisant son histoire, on se demande encore comment il n'a pas vu venir ce qui allait se passer, comment tous ces signaux ne l'ont pas alerté et pourquoi il n'a pas fui. Mais Alfred, comme de nombreux déportés, ne pouvait pas imaginer que des hommes pouvaient faire subir à d'autres autant d'atrocités, comment en 1940 on pouvait en Europe agir de la sorte et exterminer des enfants, des femmes et des hommes. En lisant les passages sur sa vie dans les camps, on a beau savoir que cela a existé, je reste toujours autant effaré que des hommes aient pu se comporter ainsi, pire que des animaux qui ne tuent jamais par plaisir.

Je suis admiratif de la force de caractère d'Alfred, qui a vaincu sa peur, qui a affronté les camps et ses tortionnaires, qui a aidé ses camarades à arracher des jours de survie tout en espérant que sa femme et sa fille s'en soient sorties. Seuls l'espoir et la natation l'ont maintenu en vie car il a continué de nager clandestinement dans les bassins de rétention du camp. C'était sa résistance face à cette folie. Il est ressorti de la guerre brisé et sans nouvelle de sa famille et, une fois encore, c'est la natation qui l'a sauvé.

J'ai aimé dans ce roman ses rencontres avec d'autres champions dans le camp, et particulièrement ses échanges avec Victor Young Perez, un ancien champion du monde de boxe. Lui aussi était un personnage intéressant par sa vie et son destin. On espère avec lui que sa femme s'en soit sortie et, lorsque le doute n'est plus permis, on est touché par son éternel espoir de la voir revenir. Ce grand champion, rentré parmi les légendes de son sport et reconnu par les Américains qui l'ont introduit au Hall of Fame de la natation, méritait bien un hommage dans un roman bien construit retraçant son parcours exceptionnel et tragique. Un homme capable de battre un record du monde en 1941 sous les yeux des nazis et des pétainistes méritait cette reconnaissance, trop tardive malheureusement.

Les chapitres sont courts et alternent les périodes de sa vie. En dépit de la dureté de certains passages, Renaud Leblond évite le pathos et nous décrit la montée de l'antisémitisme qui a gangrené le sport pour des motifs politiques. Merci à lui de m'avoir fait connaître cet homme et ce sportif exemplaire.