Les Chroniques de l'Imaginaire

Le chien de guerre et la douleur du monde - Moorcock, Michael

Ulrich von Bek est mercenaire. C'est un métier très demandé dans une Europe en pleine guerre de Trente Ans. Rapines, pillages, viols, von Bek a tout vu, ne s'est pas privé d'y participer, et le peu de foi chrétienne qu'il avait n'y a pas survécu. L'épouvantable mise à sac de la ville de Magdebourg, au printemps 1631, ne lui inspire qu'une vague frustration de n'avoir retiré qu'un piètre butin des ruines fumantes de la ville. Abandonnant ses hommes à la peste, il erre dans une Allemagne marquée des stigmates de la guerre jusqu'à atteindre un mystérieux château perdu au cœur d'une forêt silencieuse. Le propriétaire des lieux n'est autre que Lucifer…

À la grande surprise de von Bek, le prince des ténèbres lui propose un marché. Il est las de la guerre perpétuelle qui l'oppose à Dieu et souhaite se réconcilier avec son créateur. Pour ce faire, quoi de mieux que lui offrir le Saint-Graal, clef de la rédemption d'un monde au bord du gouffre ? Von Bek, qui se sait déjà damné, accepte de se lancer dans cette quête folle qui le conduira à explorer le monde parallèle de la Mittelmarch. Sur sa route, il trouvera de précieux alliés, mais également beaucoup d'obstacles, car les démons infernaux craignent fort qu'il n'y ait plus de place pour eux dans un monde guéri de ses maux.

Le chien de guerre et la douleur du monde est un roman historique fortement mâtiné d'heroic fantasy, ce qui n'a rien d'étonnant quand on connaît le pedigree de son auteur. Comme souvent, ce dernier structure son récit autour d'un antihéros bourré de défauts mais qui s'efforce tout de même de faire le bien. Cynique invétéré, pécheur impénitent, Ulrich von Bek ne peut que rappeler Elric de Melniboné, la plus célèbre des créations de Michael Moorcock. Même leurs prénoms se ressemblent !

Malgré ses défauts, von Bek constitue un protagoniste attachant car non dénué d'une certaine forme d'honneur et d'une force de volonté appréciable. Son trait de caractère le plus ennuyeux est peut-être l'indulgence presque constante qu'il accorde à son acolyte Gregory Sedenko. Son regard attendri sur ce Kazakh mal dégrossi à l'antisémitisme exacerbé qui ne voit aucun mal à violer une gamine de quinze ans constitue sans doute l'aspect le plus crispant du roman.

Mais après tout, quoi de plus logique que d'avoir des antihéros pour mener une quête du Graal inversée ? On retrouve dans les aventures de von Bek le côté un peu disjoint et arbitraire des légendes arthuriennes du Moyen Âge, une succession de péripéties pas toujours logiques mais liées par un sens puissant de l'allégorie. La différence majeure, bien sûr, est que la foi chrétienne n'en est pas le moteur, comme l'illustre le chasseur de sorcières Johannes Klosterheim, némésis de von Bek que sa foi aveugle et bigote a poussé dans les bras de Lucifer.

Le roman aurait peut-être gagné à faire quelques dizaines de pages de plus. Alors que les premiers chapitres prennent leur temps pour poser le cadre d'une Allemagne en pleine déliquescence et camper avec soin les états d'âme du protagoniste, le rythme ne cesse de s'accélérer et les péripéties ne bénéficient hélas plus de la même attention. Le chien de guerre et la douleur du monde constitue tout de même une bonne entrée dans la pléthorique bibliographie de Michael Moorcock, où l'on retrouve ses idées de prédilection, notamment que l'humanité doit arrêter de s'en remettre aux dieux et prendre son destin en main, emballées dans une aventure pleine de rebondissements.