Les Chroniques de l'Imaginaire

Terre noire - Carelli, Rita

Ana vit à Sao Paulo avec sa mère, pendant que son père fait des fouilles dans le Xingu, territoire indien. Son projet, qui passionne également le chef local, Kamaka, est de mettre au jour les traces qui prouveront que ce territoire a été habité et géré par les ancêtres des humains qui continuent d'y vivre, en harmonie avec lui. La mère de l'adolescente meurt brutalement, et son père n'a d'autre choix que de l'emmener avec lui en Amazonie.

Dans ce village, elle fera des rencontres qui la marqueront durablement : le petit Maru, le beau Yakaru, la savante Padjà, qui tout en cuisinant raconte des histoires, dont celle d'Anakinalo, la fille mythique qu'évoque Ana aux Indiens du village. Et Kassuri, la fille du chef, qui a le même âge qu'Ana mais une culture et des expériences de vie totalement différentes. Au moment de l'arrivée d'Ana, Kassuri est recluse : elle s'est enfermée au moment de ses premières règles et ressortira au prochain Kuarup, la fête des morts, en tant que femme prête à se marier et à porter des enfants. Les deux adolescentes, fascinées l'une par l'autre, vont tisser un lien fragile et fort, fait de non-dits et de cadeaux discrets.

Ce roman est passionnant en ce que les Indiens y sont vus par le regard d'une adolescente qui vit avec eux. Les recherches de son père sont importantes pour les Indiens, et ils n'ont pas de mal à intégrer la jeune fille, même s'ils la voient comme exotique. Quant à elle, elle est curieuse d'eux et fascinée par leurs mythes. Le lecteur voit par ses yeux, et découvre tout un monde en cours de disparition, puisque le retour d'Ana dans le Xingu quinze ans après son départ lui montrera la dégradation rapide des conditions de vie des Indiens, avec la quasi-disparition de la rivière qui les nourrissait, et le feu qui détruit leur forêt.

Le roman est en deux parties, correspondant aux deux séjours d'Ana en Amazonie. Pour chacune d'entre elles, le point de vue alterne entre la vie en ville et la vie au village, ce qui met bien en relief les différences, mais aussi la fluidité de la protagoniste qui finalement passe de l'une à l'autre sans grand heurt. Cela permet aussi au lecteur de voir combien la mort est vue de façon différente par les Indiens, qui laissent partir leurs morts après les avoir dûment honorés, sans se cramponner à leur souvenir.

Loin de tout militantisme anticolonialiste ou écologique affiché, ce roman, en plus d'être une belle histoire d'amitié, est également un cri d'alerte sur l'état de notre planète en général, et de l'Amazonie en particulier.