Les Chroniques de l'Imaginaire

La matinée d'un gentilhomme rural - Tolstoï, Léon

A dix-neuf ans, le prince Nekhlioudov décide de se consacrer à l'exploitation familiale en allant y vivre sur place, dans la campagne, aux côtés des paysans qui travaillent sur ses terres. Plein de bonne volonté, désireux de bien faire et de venir en aide à ces familles, il entreprend de visiter certaines d'entre elles à l'aide du carnet sur lequel il a noté les demandes de chacune. Tel paysan a besoin de bois, l'autre de blé...

Nekhlioudov rend visite à chacun et rapidement, il comprend que les choses ne vont pas être aussi idylliques qu'espéré. Ses ambitions de bonté et d'assistance vont se heurter à l'entêtement des paysans, ancrés dans leurs habitudes et rétifs au changement. Il se rend aussi compte que les difficultés de la paysannerie ne sont pas que liées au manque d'argent et aux conditions de travail rude. Il peut aussi y avoir de la paresse, de la méchanceté, un orgueil mal placé, de l'avarice...

Cette nouvelle rend compte en un relatif concentré de pages de la condition paysanne en Russie en opposition à celle plus aisée de la bourgeoisie. Il y a un choc des cultures qui malgré tous les efforts du prince ne peut pas déboucher sur un terrain d'entente car ces deux mondes ne s'appuient pas sur les mêmes codes. Leon Tolstoï parvient également à balayer en quelques personnages plusieurs visages qui sont autant d'exemples de caractères type du paysan.

En plus de la peinture sociale de la paysannerie, l'auteur nous convie à entrer visuellement dans l'exploitation que parcourt le gentilhomme au cours de sa matinée. On y voit les champs, les isbas plus ou moins délabrées, les terres battues, le poêle qui chauffe, les volets branlants... Les scènes que décrit Tolstoï pourraient sembler tristes et déprimantes, mais l'auteur insuffle constamment de l'humour basé sur l'incompréhension entre le prince et les paysans. Certaines attitudes entraînent aussi un comique de situation, comme Ioukhvanka qui cache précipitamment sa pipe en voyant Nekhlioudov entrer dans l'isba alors qu'il prétend être dans le besoin.

La matinée d'un gentilhomme rural est un récit brillant, drôle sans moquerie, qui expose sans blâmer. Le personnage de Nekhlioudov est touchant car en dépit des différences, il prend son rôle à cœur et ne se laisse pas décourager. Avec cette nouvelle, Tolstoï offre un regard finalement assez tendre sur la ruralité.