Les Chroniques de l'Imaginaire

Bram Stoker et le vampire (Galaxies SF - 85)

Sous une couverture monochrome montrant le visage menaçant d'un vampire (ou un membre de KISS, vu son maquillage) au-dessus d'un château que l'on imagine transylvanien, ce numéro 85 de Galaxies SF a pour thème Dracula et son créateur, le romancier irlandais Bram Stoker. Comme le souligne Pierre Gévart dans son éditorial, on peut y voir le pendant du dossier sur Mary Shelley et Frankenstein du numéro 67 de la revue, avec un lien plus ténu mais néanmoins présent avec la science-fiction qui en constitue le fonds de commerce.

Le dossier, coordonné par Grégoire Kenner, propose quatre nouvelles (sept dans la version numérique), trois articles et un entretien avec Alain Puozzoli, auteur d'une biographie en français de Bram Stoker. Je l'ai trouvé assez inégal. Les articles sont un peu décevants, entre Requiem pour un vampire, sorte de pamphlet qui aurait aussi bien pu s'appeler « C'était mieux avant », Dracula, la naissance du mythe, qui présente de manière assez confuse les origines du roman et ses ressorts narratifs, ou encore Dracula in Istanbul, exposé trop scolaire d'une intéressante curiosité (une adaptation du livre en pleine Turquie kémaliste).

Les nouvelles sont en revanche toutes de bonne qualité ; on comprend pourquoi le comité de rédaction a lutté pour les sélectionner (on nous promet déjà un hors-série qui reprendra quelques-unes des soixante-quatre (!) contributions reçues). Aussi éculé soit-il, le vampire reste un sujet qui inspire et passionne ! Celle qui m'a le moins convaincu est la première, Une époque révolue de Gauthier Dambreville, qui oscille entre énigme policière et horreur sans réussir dans l'un ou l'autre de ces registres. La suivante, Papillon d'Elga Bland, embrasse franchement la SF en imaginant une colonie humaine isolée et confrontée à des créatures extraterrestres mais familières, mortelles mais séduisantes. La SF est aussi au rendez-vous dans Effusion de vie de Nicolas Skinner (exclusivité numérique), où le vampirisme est le fruit d'un virus contracté sur une exoplanète apparemment sans danger. Le voyage dans le temps y joue un rôle, ce qui est aussi le cas de La dernière confession de Bram Stoker, d'Anaïs Buffet, et Pour l'éternité, de David Bensaïd (exclusivité numérique), deux textes qui ont aussi en commun la présence de Bram Stoker comme protagoniste. Heureusement, ils sont tous fort bien écrits et plaisants à lire, mais l'impression de redite est là. Les deux dernières nouvelles sont plus originales, avec des vampires qui ne sont plus un fléau, mais entrent au service de l'humanité. Miroir de mon corps, reflets de ton âme, de Laure Turnel (exclusivité numérique), repose sur une idée maligne et bien exploitée, tandis que Derrière la plage, de Grégoire Kenner, se lit davantage comme une histoire de guerre bien gore.

Au sommaire, on trouvera encore deux nouvelles non vampiriques (quatre dans la version numérique). La première est le 3e prix Alain le Bussy 2023, L'odeur des paupières brûlées au petit matin d'Olivier Goncalves. Ce texte feutré utilise à merveille un artifice qui d'ordinaire m'insupporte, la narration à la deuxième personne. C'est ici particulièrement efficace pour dépeindre le deuil du narrateur qui s'adresse pour la dernière fois à sa mère. Galaxies SF poursuit également ses « Chroniques d'Ukraine » en publiant Génomorphe de Vladimir Venglovski, nouvelle bien ficelée qui nous entraîne sur une planète dont les habitants peuvent se métamorphoser en animaux, au risque d'y perdre leur conscience. Le lectorat de la version numérique profitera aussi du Décrocheur, de Raymond Iss, texte gouailleur sur un petit métier inattendu d'un futur où le secret de l'immortalité a été percé, ainsi que de Seconde chance, de Morwenna Le Bevillon, où l'on retrouvera encore (décidément !) du voyage temporel, pour une intrigue de facture classique mais rondement menée.

Les dernières pages sont occupées par les rubriques habituelles. La chronique musicale de Jean-Michel Calvez se penche sur Francisco Lopez, artiste d'avant-garde espagnol prolifique, tandis que Didier Reboussin revient sur la courte bibliographie de Jacques Hoven chez Fleuve Noir. Critiques de livres, bédés et films complètent ce numéro 85 bourré de chouettes nouvelles.