Sushi débarque à New York porteuse d'un rêve : trouver le succès et la richesse grâce à ses chansons. Son père lui a toujours affirmé qu'elle pouvait le faire. Armée d'une voix de fée qui lui vient droit de Faërie et d'une guitare aux cordes en crins de licorne, elle est persuadée de réussir.
Mais New York n'est pas tendre avec ceux qui n'ont ni argent ni ami. Les New Yorkais sont ancrés dans la dure réalité et fermés aux rêves, ils sont insensibles à la voix merveilleuse et la guitare magique de Sushi, ils n'entendent qu'une voix éraillée et ne voient qu'une guitare à laquelle il manque des cordes. En plein hiver, Sushi est contrainte de dormir dans des immeubles délabrés, de mendier et voler pour manger, elle a constamment les pieds gelés et le ventre qui grogne. Sans compter que les sans-abri sont des proies faciles pour les cruels prédateurs qui ne sont jamais très loin, couverts pas des flics corrompus.
Heureusement, il y a aussi des lueurs d'espoir. Une policière morte (mais le sait-elle ?) qui continue d'arpenter les rues dans sa voiture de patrouille. Une jeune fille qui partage spontanément sa lamentable paillasse. Une vieille shamane qui propose d'initier Sushi. Un apprenti magicien pas doué mais très mignon. Et la ville elle-même, quand on prend le temps de l'écouter, peut faire chanter les briques et le bitume...
Donne-moi ton coeur que je l'enterre est un magnifique roman d'urban fantasy, de tendance dark. Il suffit de consulter la liste des trigger warnings pour s'en convaincre : violences, gore et j'en passe. Même le titre n'est pas très encourageant, bien que son explication soit finalement moins macabre qu'il n'y parait.
New York se révèle impitoyable pour Sushi, brisant ses espoirs un par un. Les choix qui lui sont offerts, en plus de ne pas corrrespondre à ses voeux, ont toujours un prix à payer qui implique de renoncer à quelque chose qui lui est cher. L'atmosphère est glaciale, on ressent jusque dans nos os le froid qui s'infiltre dans les maigres vêtements de Sushi, la misère à laquelle elle est confrontée au quotidien simplement pour survivre.
Mais notre monde n'est pas unique. Il suffit d'ouvrir son esprit pour traverser le Voile et passer dans un des nombreux autres mondes. En faisant simplement un pas de côté, ce bonhomme antipathique se révèle un ogre prêt à dévorer n'importe qui, ce monsieur bien habillé un vampire tout aussi féroce. En s'élevant suffisamment, on pourrait rejoindre la Faërie et son Eternel Eté, et être à l'abri des frimas de notre dure réalité. Ou surfer sur les coïncidences à la manière des fées pour "rendre l'improbable quotidien". Hadrien Roche arrive parfaitement à nous faire ressentir cette imbrication des mondes les uns avec les autres, la manière dont ils se fondent et permettent d'être plus dans l'un ou plus dans l'autre suivant les moments, c'est très bien fait et très plaisant.
J'ai beaucoup aimé le personnage de Sushi, qui essaie de trouver sa voie (et sa voix !) malgré les difficultés, mais tout en restant ouverte, prête à aider les autres chaque fois qu'elle le peut. J'ai adoré le personnage de Chien, ce toutou sympa et vraiment spécial à qui il ne manque que la parole (vraiment ?) et sans qui les épreuves de Sushi seraient bien plus difficiles à surmonter. Je me demande par contre si ce chien est un personnage que l'on trouve régulièrement dans les récits lié à la Faërie (comme la Dame Verte), auquel cas j'ai malheureusement raté la référence. J'ai apprécié également les personnages secondaites bien campés et intéressants.
La plume est très belle, c'est à la fois agréable à lire et très évocateur. Le rythme est également bien maîtrisé, conservant l'intérêt tout au long de la lecture.
Ce roman s'est avéré une excellente surprise et je me suis vraiment régalée à le lire, malgré l'atmosphère sombre qui n'est pas dans mes préférences de lecture. Il peut parfaitement se lire tout seul, mais depuis que j'ai découvert qu'il s'agissait du premier tome d'une trilogie, je suis très impatiente de découvrir la suite et de replonger dans cet univers.