Les Chroniques de l'Imaginaire

La cité des marches (Les cités divines - 1) - Bennett, Robert Jackson

Jadis, six divinités se partageaient le Continent, prodiguant leurs bienfaits et guidant leurs ouailles. Grâce à elles, les Continentaux menaient des vies prospères dans des villes fabuleuses. Au sommet de leur puissance, ils envahirent le reste du monde connu sans que nul ne puisse leur résister. Un jour, pourtant, les habitants de Saypur en ont eu assez de leur joug tyrannique. Menés par le Kaj, un chef charismatique, ils sont parvenus à accomplir l'impensable : tuer les dieux. Leur disparition brutale a engendré une série de cataclysmes dont le Continent ne s'est jamais remis. L'ordre établi s'est inversé et ce sont à présent les Saypuriens qui dominent les Continentaux.

Trois quarts de siècle plus tard, Efrem Sangyui, modeste professeur saypurien, se rend à Bulikov, l'ancienne capitale des dieux, pour enquêter sur leur histoire, sujet tabou par excellence. Lorsqu'il est retrouvé mort, l'enquête est confiée à Shara Thivani. Sous sa couverture d'ambassadrice culturelle, celle-ci est en réalité l'une des meilleures espionnes dont dispose le gouvernement de Saypur. Pour élucider ce meurtre, elle va être amenée à se pencher sur les recherches du professeur, et découvrir que le passé du Continent n'est pas si passé que cela…

Bien qu'il paraisse en français après la trilogie des Maîtres enlumineurs, La Cité des marches lui est en réalité antérieur et constitue la première incursion de Robert Jackson Bennett dans le genre fantasy. Les points communs entre ces œuvres sont nombreux, au point qu'on pourrait presque parler de « formule Bennett » : une protagoniste féminine qui ne s'en laisse pas conter, tiraillée entre ce qu'elle voudrait faire et ce qu'elle devrait faire ; des personnages secondaires hauts en couleur et à la langue bien pendue ; un univers fondé sur des axiomes originaux et mystérieux ; la découverte progressive d'une menace de grande ampleur qui nécessitera bien des sacrifices dans le camp des héros.

Néanmoins, les différences sont suffisamment nombreuses pour ne pas avoir l'impression d'une redite. L'idée des divinités qui parcourent le monde en accomplissant quantité de miracles, des plus anodins aux plus absurdes, est brillante et donne lieu à d'excellentes scènes dans des registres variés (l'extrait d'inventaire d'objets miraculeux avec les conséquences plus ou moins appréciables de leur usage est très drôle, tandis que d'autres passages que je ne divulgâcherai pas donnent plutôt des frissons). L'intrigue entremêle habilement les mystères entourant leur histoire et l'enquête sur le meurtre du professeur Sangyui et c'est un plaisir d'accompagner Shara dans ses efforts pour démêler l'écheveau.

La Cité des marches est un bon roman de fantasy. C'est lui aussi le premier tome d'une trilogie, mais sa conclusion est suffisamment fermée pour lui permettre de tenir debout seul, même si la perspective de découvrir les aventures ultérieures de Shara n'a rien de déplaisant.