Les Chroniques de l'Imaginaire

Summerland - Rajaniemi, Hannu

Dans une Europe bouleversée par la découverte d'une vie après la mort, l'année 1938 ne ressemble guère à celle que nous avons connue. Certes, l'Espagne est en proie à une guerre civile, mais si l'Union soviétique soutient bien les républicains, les franquistes bénéficient quant à eux de l'appui d'une Grande-Bretagne sur laquelle règne toujours une Victoria pourtant décédée. La communication entre le monde des vivants et Summerland, le monde des morts, rendue possible par l'invention de divers procédés, offre en effet aux défunts la possibilité de continuer à intervenir dans les affaires terrestres.

Rachel White travaille pour le SIS, les services secrets britanniques. Un contact lui apprend, juste avant de se tirer une balle dans la tête, qu'une taupe soviétique se cache dans les rangs de l'agence. Le problème, c'est que personne ne veut la croire : l'honorable feu Peter Bloom semble au-dessus de tout soupçon, comme s'il bénéficiait d'appuis en haut lieu. Rachel est têtue et compte bien démasquer la taupe, quand bien même elle se retrouve dégradée et placardisée pour son insubordination. Quant à Peter, il devra déployer des trésors de finesse pour satisfaire ses deux maîtres et peut-être, à terme, avoir l'occasion de fusionner avec la Présence, l'omnipotente machine qui préside aux destinées de l'URSS…

Bien qu'il paraisse dans la collection Folio SF, Summerland est à toutes fins pratiques un roman d'espionnage dans la droite lignée d'un John Le Carré. On y retrouve tous les ingrédients classiques du genre : les agences gouvernementales qui tirent les ficelles dans l'ombre, les agents rusés qui ont recours à toutes sortes de stratagèmes pour arriver à leurs fins, les mensonges, mystères et trahisons en tous genres. En alternant les points de vue de Rachel et Peter, la chasseresse et la proie, Hannu Rajaniemi alimente une tension constante, parfois alourdie par des scènes de dialogue un peu longues, mais qui donne envie de tourner les pages jusqu'à la fin, surtout que les deux protagonistes sont crédibles dans leurs émotions et leurs actions, chacun à sa manière.

Le gros point fort du livre repose cependant sur l'intégration d'éléments fantastiques. L'au-delà imaginé par l'auteur s'inscrit dans le spiritisme de la fin du dix-neuvième siècle, avec de l'ectoplasme à gogo et des médiums en goguette, mais il apporte aussi sa touche avec des inventions comme l'ectophone, qui permet de communiquer avec les morts, les armures ectoplasmiques utilisées de manière dévastatrice pendant la Première Guerre mondiale, ou les Tickets d'accès à Summerland auxquels n'ont accès que les individus jugés les plus méritants, la plèbe étant condamnée à une rapide dissolution de l'âme après la mort. Les règles qui régissent l'après-vie sont exposées au compte-gouttes, d'une manière très fluide et naturelle mais qui requiert une certaine concentration, surtout quand elles apparaissent entre deux dialogues d'espionnage sur la situation en Espagne.

N'étant pas friand outre mesure des romans d'espionnage, j'ai eu un peu de mal à entrer dans Summerland, mais j'ai fini par me prendre au jeu de ce thriller surnaturel diablement efficace, aux irrésistibles accents so british (étonnant venant d'un écrivain finlandais !). Ma curiosité a été aussi titillée par les nombreux clins d'œil à l'histoire réelle disséminés dans le texte. Si jamais Hannu Rajaniemi décide de nous ramener en Summerland dans un prochain roman, je ne manquerai pas de prendre mon Ticket.