Les Chroniques de l'Imaginaire

Porcelaine sous les ruines - Vivalda, Ada

Alba était une Génie, mais elle a accordé trop de voeux à des humains qu'elle aimait, et Hécate l'a bannie sur Terre. Elle n'est plus que Lady Whitmore, qui fait de son mieux pour protéger son archipel d'Hibernia des périls de la mer. Les eaux montent inéluctablement, et elle sait qu'elle doit obtenir l'aide de l'archipel voisin de Cymru. Elle envoie donc des navires chargés de cinq botanistes et de leur famille, en échange de la construction d'une digue contre la montée des eaux.

Malheureusement, les bateaux sombrent, et c'est l'énigmatique Conseiller Cymri Lethan Alcor qui est envoyé vers Alba pour lui annoncer la nouvelle et négocier avec elle un autre marché. Dès leur première rencontre, Lethan Alcor et Alba se détestent, et tout échange entre eux fait des étincelles. Alba est bien décidée à protéger à la fois les secrets d'Hibernia et les orphelins qu'elle a recueillis. Ce sera d'autant plus difficile qu'Alcor charme tout le monde sauf elle et le jeune Nate, et que le vieux Fergus octroie inconsciemment à l'envoyé Cymri un avantage décisif.

Je dirai d'emblée que je ne suis pas fan de romance, et que je ne cours vraiment pas après le trope "Ennemies-to-Lovers". De ce fait, je n'avais pas d'a priori favorable sur le roman. Sauf que... J'ai beaucoup aimé les romans précédents de l'autrice, coup de coeur des Imaginales 2024, et j'étais curieuse. Et vraiment, je ne regrette pas de l'avoir lu.

J'ai beaucoup aimé retrouver ce mélange entre la fantasy et une atmosphère post-catastrophe clairement liée en ce cas à ces éléments évidemment science-fictifs que sont le départ vers une autre planète, et les vaisseaux spatiaux ad hoc. C'est fort bien fait, d'une façon à la fois très différente et fort évocatrice de Derniers jours d'un monde oublié. On y retrouve d'ailleurs la figure de l'île, amplifiée en archipel et ouverte sur le monde cette fois, même si le monde en question est principalement hostile. C'est à nouveau une femme puissante, Lady Whitmore en l'occurrence, qui règne sur Hibernia.

Les amateurs de thé, seront pour leur part sans doute fort heureux de noter l'importance de leur boisson préférée, cultivée sur l'île même et consommée à toute heure en infusion ou en liqueur. Ses différentes saveurs rendront peut-être nostalgiques les amateurs de Du thé pour les fantômes, même si ce dernier roman est dans une catégorie à lui tout seul à cet égard.

Le point de vue alterne entre les deux personnages principaux, et l'évolution de la vision que chacun a de l'autre, et par voie de conséquence de leur relation, est bien maîtrisée. La galerie de personnages secondaires est intéressante, chacun étant bien caractérisé, de Liam à Saoirse en passant par Fergus, et la tendresse évidente que leur porte l'autrice est plaisante. L'écriture est travaillée sans être pesante, comme le montre par exemple le passage où les protagonistes échangent des vannes dans le domaine des fruits et légumes.

Le jeu permanent entre les "passages obligés" de genre et l'originalité inhérente à l'univers où se déroule l'intrigue montre que l'autrice maîtrise bien les codes de la romance. Sa façon de les articuler à ceux de la fantasy est un témoin de son talent d'écrivaine, qui s'affirme d'une publication à l'autre. Sans nul doute, si ce nouveau genre qu'est la "romantasy" comporte des oeuvres de cette qualité, j'y prêterai de l'attention à l'avenir, quand je chercherai des lectures distrayantes.

En tout cas, je recommande ce roman non seulement aux lecteurs amateurs et/ou curieux de la nouvelle publication de Chris Vuklisevic, même si c'est sous un autre nom de plume, mais aussi aux férus de romance à la recherche d'un peu d'originalité dans leur genre préféré. De surcroît, l'objet est très beau, grâce à la superbe couverture signée Cecilia Leroux, et ne peut qu'agrémenter une bibliothèque.