Les Chroniques de l'Imaginaire

Ma vie en 24 images par seconde - Rintarô

Au départ, il devait s'agir d'un film d'animation biographique sur Rintarô, qui retracerait sa longue carrière dans le domaine de l'animation en commençant par sa jeunesse. Mais c'était un projet trop ambitieux en terme de temps et d'argent, si bien que l'idée initiale a dévié sur la bande dessinée. Cela a pris six années à l'artiste pour tout reprendre, se souvenir, retracer la chronologie des évènements, définir la trame de narration et découper le récit en planches.

Six années de travail qui aboutissent à un résultat sensationnel. Chaque grande étape de la vie de Rintarô est découpée en sept séquences, détaillées sur 250 pages. On commence tout naturellement par sa venue au monde en 1941 à Tokyo, en pleine seconde guerre mondiale. A trois ans, il part se réfugier à la campagne avec sa mère et son petit frère pendant que le père soldat est au front. Cette période champêtre et bucolique, préservée des turbulences de la guerre, ouvre les premiers souvenirs de sa vie. A son retour, son père l'initie à la culture. C'est un fou de cinéma qui aurait aimé en faire son métier. Mais les choses ne se sont pas passées comme il l'aurait souhaité et il s'évade avec des livres de théâtre, des spectacles qu'il met en scène, des films qu'il emmène Rintarô voir. Le cinéma est une révélation pour le jeune garçon, qui fabriquera seul son propre projecteur et dessinera ses premiers scénarii remarquablement tôt.

C'est ainsi qu'est posée la première pierre sur le parcours professionnel de ce grand maître de l'animation japonaise (il a travaillé notamment sur Astro Boy ou encore Albator), qui a connu bien des déboires mais a aussi eu la chance de tomber sur les bonnes personnes au bon moment. Il a réussi car il n'a jamais abandonné, même lorsque les temps étaient difficiles et que le rythme était tel qu'il pouvait à peine dormir. La bande dessinée nous fait ainsi entrer dans les coulisses des balbutiements de l'animation, lorsque tout le travail se faisait encore de manière artisanale. L'album mêle sans que cela n'y paraisse vie personnelle et documentaire sur ce courant artistique, tant l'auteur a dû mettre son intimité de côté pour se consacrer totalement à son métier. La réalisation des projets était par la force des choses la seule chose que Rintarô pouvait raconter à certains moments de sa vie. Et il faut reconnaître que c'est passionnant. Entre les sociétés de production, les financements, les délais impossibles, les idées à trouver, la réalisation des dessins, les projections... Le sujet est vaste et fascinant.

La cerise sur le gâteau, celle qui enjolive le récit savoureux, c'est la beauté des planches. Les dessins en noir et blanc, aux traits fins et minutieux, sont magnifiques. Rintarô a déployé son savoir-faire en présentant un album qui donne véritablement l'impression de voir un film. Le découpage des cases académique est dynamisé par des ruptures habiles qui s'intègrent à merveille au récit. L'animation qui semble surgir des pages est amplifiée par des techniques de dessin variées, toujours harmonieuses, et des arrière-plans soignés avec une multitude de détails. Le tout est d'une précision et d'une élégance remarquables, rendant la lecture très agréable.

Sur le fond autant que sur la forme, cet album est une réussite parfaite. La vie et la carrière de Rintarô sont passionnantes, tout comme l'incursion dans l'animation japonaise. Un ouvrage qui ravira tous les publics curieux, sans nul besoin d'être déjà familiarisé avec le travail de Rintarô.