Marseille, 22 février 1944, trois jeunes gens courent dans les rues jusqu'à trouver une affiche placardée sur un mur. Cette affiche rouge présente des résistants, tous d'origine étrangère, comme des criminels avec à leur tête un Arménien : Missak Manouchian. Par cette affiche, les nazis cherchent à démontrer que ces hommes ne sont que des étrangers ou des juifs et qu'ils ne sont qu'un ramassis de criminels et non des libérateurs. La veille, Missak Manouchian et ses compagnons ont été exécutés par les Allemands pour de multiples actions armées contre les forces d'occupation.
Cette bande dessinée rend hommage à ces hommes et femmes des FTP-MOI (Francs tireurs partisans-main d’œuvre immigrée), tous d'origine étrangère et qui ont combattu les nazis par idéologie, par principe ou pour la France qui les a accueillis. Ils avaient tous en commun la détestation de ce que représentait le régime nazi et ne voulaient plus fuir l'oppression. La figure emblématique de ce groupe, à qui il a donné son nom pour la postérité, est Missak Manouchian. C'est par lui que commence la galerie de portraits de ces combattants de l'ombre.
Missak est né en Turquie, son père et sa mère ont été tués lors du génocide arménien, lui et son frère ont survécu et ont fini par trouver refuge en France. C'est là qu'il rencontre sa femme Mélinée. Rapidement il se rapproche des idéaux communistes et milite pour le parti. Naturellement après la fin du pacte germano-soviétique il prend les armes et intègre les FTP-MOI, mais après de nombreuses attaques contre les Allemands, la plupart des membres du groupe sont arrêtés, torturés et exécutés.
Cet ouvrage revient sur chaque membre et leurs actions par l'intermédiaire des souvenirs de Mélinée lors d'un échange avec Charles Aznavourian. Peu le savent mais les parents d'Aznavour, sa sœur et lui même ont protégé des juifs, des résistants car survivants d'un génocide ils comprenaient mieux que d'autres qu'il était indispensable d'aider les opprimés. Chaque combattant a droit à un portrait et à un rapide compte rendu de sa vie en préambule de quelques pages sur une de leurs actions. Cette bande dessinée a le mérite de mettre en lumière des personnes qui se sont battues pour la France alors que presque toutes n'étaient pas françaises. Ces Italiens, Polonais, Roumains, Espagnols, Hongrois, Arméniens ont représenté la lutte contre la barbarie nazie et se sont battus pour leur pays d'adoption même si celui-ci ne les a pas toujours bien accueillis.
J'ai aimé les dessins de Thomas Tcherkézian, les couleurs employées, ce rouge omniprésent. Le rendu est très beau sans parler des portraits en noir et blanc de chaque membre tout simplement splendides. Les quarante premières pages sur la vie de Missak sont particulièrement intéressantes et permettent de comprendre son cheminement intellectuel et son envie de combattre les Allemands. À noter que le dossier en fin d'ouvrage est bienvenu et complète ainsi la lecture.
J'ai apprécié le parti pris narratif de Jean-David Morvan, l'échange entre Aznavour et Mélinée permet de se sentir plus proche de ces femmes et de ces hommes, rendant le récit de leur lutte armée moins froid et montrant qu'ils n'étaient pas que des combattants mais qu'ils avaient eu une vie parfois difficile avant. Les femmes sont aussi mises en lumière dans cette résistance à l'ennemi, on oublie parfois leur rôle important dans les organisations clandestines. Tous n'ont pas été exécutés au Mont Valérien, Olga Bancic a été décapitée en Allemagne, les nazis trouvaient que cela pouvait nuire à leur image si cela se faisait en France...
Cet ouvrage est un bel hommage à ces résistantes et résistants qui ont décidé de prendre les armes alors que l'espérance de vie d'un groupe clandestin n'était que de quelques mois. Je reste toujours admiratif de leur courage.