Les Chroniques de l'Imaginaire

La langue anglaise n'existe pas : C'est du français mal prononcé - Cerquiglini, Bernard

Le titre provocant de cet essai vient, selon son auteur, d'Alexandre Dumas en passant par Georges Clémenceau. Excusez du peu ! Certes, ces augustes patronages ne suffiraient pas à prouver la thèse présentée ici. C'est ce à quoi son auteur s'emploie au fil de cet essai riche et bien argumenté.

Il commence par ce chiffre inattendu de l'origine française de près du tiers des mots anglais. Si on y ajoute ceux issus du latin, c'est plus de la moitié de la langue anglaise dont l'origine n'est ni saxonne, ni germanique. L'invasion de l'Angleterre par les troupes de Guillaume le Conquérant au XIème siècle a occasionné un grand nombre de désignations d'éléments courants qui se sont superposées à celles qui existaient déjà, et qui pour certaines ont continué d'être en usage ailleurs que dans la noblesse. L'exemple de "pig" (le cochon qu'on élève) et de "pork" (le porc qu'on mange) est parlant à cet égard.

Il affine le sujet en montrant que, plus que de l'ancien français, une bonne partie des mots anglais vient de l'ancien normand, la forme régionale du français que parlaient Guillaume, duc de Normandie, et ses hommes. Au moins pour ce qui est de l'importation linguistique originelle, celle du XIème siècle. Il y en a eu une deuxième, au XIIIème/XIVème siècle, durant lesquels se sont particulièrement enrichis en vocabulaire les domaines de la justice, de l'administration et du pouvoir. Mais à ce moment-là le "français" insulaire avait déjà évolué en se différenciant de son origine pour devenir de "l'anglo-français" et cette importation, quoique massive, a été pliée aux usages et nécessités locaux.

Au-delà du vocabulaire, c'est aussi la grammaire qui a été profondément marquée par l'influence continentale, au niveau des pronoms, des propositions, mais aussi, curieusement des verbes, dont certaines formes ont depuis disparu de la langue française, comme par exemple le "présent continu" (construit avec l'auxiliaire être et le participe présent du verbe : "I am singing" = "je chante", au sens de "je suis en train de chanter"), attesté en français notamment dans la Chanson de Roland du XIème siècle, mais malheureusement disparu au XVème siècle. De la même façon, certains mots anglais actuels retiennent le sens qu'ils avaient en ancien français, comme "cave" qui désignait en ancien français une caverne, sens que l'anglais a conservé.

Cet essai est bien écrit, passionnant à lire et fourmille d'exemples. Le style en est enlevé et plein d'humour, de quoi passer un bon moment, et s'instruire en s'amusant. Cela n'exclut bien sûr pas le sérieux du propos, attesté par une construction sans faille, et une bibliographie pour ceux qui, comme moi, auraient bien envie d'aller plus loin.