Les Chroniques de l'Imaginaire

Léonie B. - Spitzer, Sébastien

A dix-neuf ans, Léonie d'Aunay n'a pas froid aux yeux. Elle est fiancée au peintre François Biard, invité à participer à une expédition scientifique dans le Spitzberg pour en tirer des croquis. Une femme à bord d'un navire est réputée porter malheur, aussi la jeune femme, très désireuse de partir à l'aventure, n'hésite pas à se couper les cheveux et à se déguiser en homme pour se glisser incognito dans l'équipage. A leur retour, Léonie tombe enceinte et le couple se marie rapidement. Mais pour Léonie, il s'agit davantage d'un mariage de convenance que d'un mariage amoureux. Lorsqu'elle rencontre Victor Hugo grâce à une amie commune, c'est avec lui qu'elle découvre les élans du cœur.

Victor Hugo tombe aussitôt sous le charme de cette jeune femme de vingt ans sa cadette. Il est ébloui par sa beauté, son charme, son intelligence et son impétuosité. C'est elle qui va déclencher son combat pour le droit des femmes, elle qui voudrait divorcer mais ne le peut que si son mari le veut bien. Elle qui le sensibilise au fait qu'il y a des citoyens mais qu'il n'y a pas de citoyennes, il n'y a que des esclaves à la merci des desiderata des hommes.

Si Adèle Hugo et Juliette Drouet, respectivement l'épouse et la maîtresse "officielle" de Victor Hugo, sont connues, le nom de Léonie d'Aunay (ou Léonie Biard) l'est beaucoup moins. Pourtant, à la lecture du roman, il apparaît qu'elle a occupé une place centrale dans l’œuvre et l'évolution des pensées de l'auteur, à qui elle a vraisemblablement inspiré le personnage de Fantine dans Les Misérables. Elle l'a confronté à la réalité des difficultés des femmes et des injustices en faveur des hommes. A ses côtés, il a aussi aiguisé son regard sur les conditions de travail déplorables, en particulier des enfants.

Sébastien Spitzer a été bien inspiré de mettre en avant la personnalité charismatique et fascinante de Léonie. L'auteur est attaché depuis de nombreuses années à Victor Hugo, étant lui-même administrateur de la Société des Amis de Victor Hugo. Il connaît sa vie sur le bout des doigts et fait partie des écrivains les mieux placés pour écrire sur le sujet. Ce qui est un avantage indéniable s'avère ici à double tranchant, car Sébastien Spitzer livre ici un texte qui manque de naturel. Les anecdotes et clins d’œil (la rencontre avec Gavroche, l'invention des poèmes, la découverte que sa femme a un amant) semblent déposés ici ou là de façon artificielle, comme s'il fallait absolument les caser sans prendre garde à l’homogénéité globale du récit. De même, le début du roman donne l'impression de lire deux histoires sans lien, avec des chapitres courts qui alternent entre Léonie et Victor Hugo. L'idée est bien entendu de nous familiariser avec chacun avant le point de rencontre, mais le procédé manque là encore de fluidité. 

L'atout majeur de Léonie B. est de mettre en lumière cette femme méconnue qui a occupé une place importante dans la vie de Victor Hugo, ce qui était l'intention de l'auteur. Cela donne envie d'en savoir davantage sur elle et notamment ce qu'elle est devenue après les évènements racontés dans le roman, une femme de lettres émancipée. On peut aussi reconnaître à Sébastien Spitzer d'avoir su s'affranchir de son admiration pour le grand écrivain en ne cachant pas ses faiblesses. On peut aussi malheureusement regretter que la forme du récit, trop ramassée, cousue en patchwork là où on aurait souhaité de la dentelle, peine à rendre hommage à cette histoire singulière.