Les Chroniques de l'Imaginaire

Le combat d'Henry Fleming - Cuzor, Steve

Quelque part en Virginie sur les rives de la Rappahannock, Henry Fleming et son régiment attendent d'être engagés dans un combat. La guerre de sécession a débuté depuis deux ans déjà, mais les nombreuses batailles n'ont pas encore décidé du sort de la guerre. Henry, emporté par la fougue de la jeunesse, s'était engagé en dépit des injonctions de sa mère lui demandant de rester à la ferme. Depuis, les exercices se sont enchaînés, les marches se sont succédées sans qu'un seul combat ne soit livré. Les soldats sont impatients d'en découdre et en sont presque désespérés de ne pas avoir pu montrer leur valeur. Chacun spécule sur ce qu'il va faire lorsqu'il combattra les confédérés, certains jouent les bravaches, les autres s'inquiètent de la férocité des rebelles mais tous veulent savoir comment ils vont réagir face au feu ennemi.

Henry Fleming de son côté s'isole des autres, perdu dans ses pensées. Comment va-t-il se comporter lorsque les premiers coups de feu partiront ? Aura-t-il le courage de ne pas fuir ? D'abord engagé avec une folle envie de se battre, Henry après l'euphorie du début et l'inaction qui se prolonge commence à douter de lui. Le crainte de se comporter en lâche le tenaille jour et nuit.

Mais un jour, le régiment se met en marche et va enfin livrer bataille. C'est le moment tant attendu et redouté de montrer aux autres de quoi ils sont capables et surtout de se prouver à eux-mêmes qu'ils ne sont pas des lâches. Mais au cœur de la bataille chacun réagit différemment et c'est l'instinct de survie qui parle le plus souvent.

Cette magnifique bande dessinée est adaptée de L'insigne rouge du courage de Stephen Crane. Pour l'avoir lu précédemment, je peux vous dire que Steve Cuzor nous en livre une adaptation bien plus moderne que le roman, les dialogues sont percutants, le rythme plus emballant. J'avais trouvé le livre parfois mou avec une écriture datée, cette bande dessinée redonne vie à ce classique de la littérature américaine. Autant je ne m'étais pas attaché au personnage d'Henry Fleming dans le roman, autant là Steve Cuzor l'a rendu plus dynamique, plus sympathique et a su rendre vivantes ses interrogations. On lit sur son visage ses angoisses, sa peur et la révolte qui sonne en lui.

Les tons de couleur selon le jour ou la nuit, selon les moments de combat ou d'inactivité rendent la lecture plus vivante et rythment les scènes. Les planches des batailles permettent de vivre la férocité des combats, de voir à quel point il est possible de se comporter aussi bien en héros ou d'être un lâche alors que les balles fusent, que les corps s'effondrent autour de soi, que les ennemis courent vers vous pour vous tuer à coup de baïonnette. Encore plus que le roman, cette bande dessinée démontre l'absurdité de ces batailles, de ces hommes utilisés comme chair à canon, sacrifiés pour tenter une percée ailleurs et qui retournent au combat invariablement.

Steve Cuzor retranscrit parfaitement le questionnement intérieur d'Henry, qui passe par tous les états émotionnels avant de comprendre qu'après tout il n'est qu'un homme comme tous les autres, capable de grandes lâchetés mais aussi de se surpasser parfois. J'avais beaucoup aimé Cinq branches de coton noir du même auteur, j'ai apprécié tout autant qu'il revisite une autre partie de l’histoire des États-Unis. Très belle bande dessinée à lire absolument !