Qven a été formé depuis tout petit à être un Traducteur presger. Cela consiste notamment à être capable de se comporter comme un humain, et de parler radchaaï. Mais cela ne fait pas de lui un humain. Le cas de Qven devient particulier du jour où, alors qu'il avait déjà été traumatisé par ce qu'il avait vu alors qu'il était encore Tangent, Qven l'est plus encore lorsque Tzam essaie de le forcer à un appariement qu'il ne souhaite pas. Cette tentative échoue, mais l'avenir des deux jeunes Traducteurs en est modifié irrévocablement.
Reet Hluid a toujours su qu'il avait été adopté par Mme et Mx Hluid, comme toustes ses froeurs. De plus, son ADN comporte des éléments très particuliers. Pour M. Nadkal, cela en fait à l'évidence un Schan, l'un des dirigeants quasi-mythiques de la station hikipie disparue Amourhaine. Reet consent à fréquenter les Enfants d'Hikipu, et à apprendre la langue, pourquoi pas ? Et il se satisferait d'avoir trouvé une place à laquelle appartenir, si cela ne lui faisait pas faire la connaissance d'Enae Athtur.
Mx Athtur a été chargéi de rechercher un Traducteur presger disparu depuis quasiment deux siècles. Personne ne s'attend vraiment à ce qu'ille prenne cette mission au sérieux, étant donné le temps écoulé, et son manque apparent de qualification. Mais ille répugne à être rémunéréi pour un travail non effectué, et ille a l'habitude de faire de son mieux. Et non seulement ille trouve la réponse, mais ille regardera en face les conséquences déplaisantes de cette réussite, et visera à les atténuer. Quitte à mettre en danger le traité avec les Presgers, du moins d'après les Radchaaïs.
Comme Provenance, ce dernier roman d'Ann Leckie se déroule pendant la préparation du Conclave, et Sphène, prévue pour représenter la République des Deux-Systèmes, y joue un rôle important. On y cite également Pahlad Budrakim et le Traducteur Dlique, ce qui ramènera en pays de connaissance les fidèles de l'autrice américaine.
En revanche, on en apprend beaucoup plus - il est vrai qu'on ne savait pas grand-chose précédemment ! - sur les Traducteurs presgers, et c'est tout à fait fascinant. L'autrice réussit à les rendre à la fois totalement crédibles, totalement étrangers et en même temps proches de nous, grâce notamment au personnage de Qven. Ce dernier et Reet sont sur des trajectoires inversées, entre humanité et altérité, et réussissent néanmoins à se rencontrer et à communiquer. Les personnages secondaires, nombreux, sont bien caractérisés et intéressants, et la connaissance des formes que peuvent prendre les différentes espèces concernées par le Traité se poursuit, pour le plus grand plaisir du lecteur ou de la lectrice.
Ann Leckie en profite aussi pour mettre en relief l'arbitraire des questions de genre, et pour interroger ce qui fait l'humanité. Le thème des rapports familiaux, et de leur indépendance des liens de sang, prend toute sa place dans la seconde partie du roman. Comme d'habitude avec l'autrice des Chroniques du Radch, les questions politiques sont au centre de l'intrigue : chaque espèce a quelque chose à défendre, et ses raisons pour soutenir la revendication de Reet ou s'y opposer.
En somme, tout en étant tout à fait typique de l'autrice, et bien inséré dans l'univers qu'elle a mis en place dans les trois tomes de l'Ancillaire, ce roman a suffisamment de force, et d'angles de nouveauté pour éveiller l'attention et la maintenir tout du long. Une autre réussite pour cette écrivaine talentueuse.