Cette parution Folio recense deux corpus de nouvelles : le premier s'intitule Les amies et le deuxième Le corps de l'âme.
Les amies s'ouvre avec un très beau poème, Je n'en veux pas d'autres, qui rend hommage à ses amies dans toutes leurs différences, quels que soient leurs âges, leurs caractéristiques physiques, leurs traits de caractère. Puis viennent quatre nouvelles mettant chacune en scène des histoires de femmes. Il y a celle qui, mourante mais ayant encore toute sa verve, demande à voir une dernière fois des proches, en gardant à ses côtés sa fidèle épouse. Elles nous font toutes deux revivre leurs années heureuses malgré le poids d'une certaine gêne pour celle qui restera, qui n'a jamais véritablement réussi à mettre le mot lesbienne sur son identité. Il y a celle qui a toujours décidé de ce que serait sa vie, totalement libre, jusqu'à choisir elle-même du moment où elle mourrait. C'était sans compter que l'amour lui tomberait dessus sans qu'elle ne puisse rien y faire. Il y a celle qui se marie pour faire une union convenable, suivre les étapes établies. Le mariage, les enfants... Son époux iranien qui saute sur l'occasion d'avoir enfin l'occasion de se marier dans ce pays où il peine à parler la langue. Mais les choses ne se dérouleront pas comme prévu. Puis enfin, il y a ces deux sœurs qui se rendent en Italie, là où leur mère universitaire consacrait tout son temps à ses recherches alors qu'elle a si peu regardé grandir ses filles. En entrant dans la maison qui a vu les derniers jours de leur mère elles font une nouvelle rencontre avec elle à travers ce qu'elle a laissé.
Ces quatre nouvelles sont très différentes mais elles ont en commun de placer les femmes au cœur des histoires et de toutes finir avec une chute particulièrement ironique et inattendue.
Le corps de l'âme tranche avec le premier corpus. Il s'agit cette fois de nouvelles avec une dimension fantastique, qui jouent avec les frontières entre le tangible et l'immatériel. Entre le corps et l'âme. Quand une peluche passe de génération en génération, qu'elle a été tenue entre tant de mains, qu'elle a essuyé tant de larmes, qu'elle a été la confidente de plusieurs enfants, que reste-t-il d'elle ? Quand un photographe passionné contemple sans se lasser des photos de paysages, son âme peut-elle s'y transporter ? Quand une femme se sent se métamorphoser, au point de ne plus manger que des pommes, peut-elle changer de forme ?
A travers sept nouvelles, Ludmila Oulitskaïa balaie le champ des possibilités, avec plus ou moins de fantaisie selon les nouvelles. Il y a dans tous les cas ce flottement entre l'âme qui séjourne dans notre corps et celle qui sort du cadre et investit un autre espace.
A titre personnel, j'ai pris plus de plaisir à lire les premières nouvelles, avec des histoires fortes, marquantes, aux scénarii riches et aux chutes irrésistibles. Les nouvelles qui composent Le corps de l'âme m'ont dans l'ensemble moins séduite, bien que Ava (l'histoire de la peluche) se démarque.
L'écriture de Ludmila Oulitskaïa est cependant si limpide et agréable que je ne peux pas dire que j'aie boudé mon plaisir en lisant ce recueil.