Les Chroniques de l'Imaginaire

Méduse - Burton, Jessie

Méduse : l'une des trois monstrueuses Gorgones. Des serpents en guise de cheveux. Des yeux au regard pétrifiant. Pour la vaincre, Persée usa d'un miroir offert par les dieux et la décapita sans affronter directement son regard. Voilà le mythe.

Mais derrière le mythe, qu'en est-il de la femme ? Jessie Burton revisite la mythologie grecque et nous propose une version très humaine de la légende de Méduse.

Dans cette version donc, Méduse n'est pas née monstrueuse. Elle était une enfant ordinaire, ordinaire en tout cas pour une enfant de dieux mineurs à cette époque où les dieux arpentaient le monde aux côtés des mortels. Hélas, elle était trop belle pour son propre bien. Rejetée par les mortels qui la jalousaient, elle commit le crime impardonnable de se refuser à un dieu puissant séduit par son apparence exquise. N'ayant cherché qu'à se protéger, elle fut cependant jugée coupable des conséquences, et sévèrement punie.

Quand on fait sa connaissance, Méduse a dix-huit ans et vit sur une île déserte depuis le drame, quatre ans plus tôt. Sa seule compagnie est celle de ses sœurs Euryale et Sthéno, qui essaient de la protéger de leur mieux : contrairement à leur cadette, elles sont immortelles et cette vie à l'écart ne représente pour elles qu'une parenthèse, d'autant moins ennuyeuse qu'elles passent leurs journées loin de l'île à voler plaisamment dans les cieux. Méduse reste souvent seule et elle se languit de présence humaine. Elle rêve d'amitié - mais qui l'accepterait avec ses serpents sur la tête ? - et surtout d'amour - mais le danger menace tout homme qui l'approche : "Malheur à tout homme qui sera assez stupide pour poser les yeux sur toi, désormais !", l'a avertie Athéna après l'avoir transformée en monstre. Méduse ignore ce qu'il en est exactement de cette malédiction, mais ne peut l'ignorer.

Pourtant, quand Persée débarque sur sa petite île dans son bateau, son cœur s'affole. Elle ne le voit pas, mais elle l'imagine forcément beau comme un fils de Zeus (ce qu'il est). L'adolescent maladroit semble tellement gentil ! Pourrait-il être son ami ? Son amoureux ? Cachée derrière un rocher, taisant son véritable nom et sa chevelure monstrueuse, elle commence à discuter avec le jeune homme et tous deux se rapprochent. Peu à peu, il lui confie son enfance, le sort malheureux de sa mère ; elle lui confie une partie de ses propres déboires. Mais le destin est à l'oeuvre : Persée est venu avec pour mission de tuer "la" Méduse s'il veut sauver sa mère...

Raconté du point de vue de Méduse, le roman a pourtant tout d'une tragédie : unité de temps (quelques jours), de lieu (l'île) et d'action (la rencontre des deux adolescents et la découverte de leurs secrets respectifs), avec une issue fatale inévitable. Alors, forcément, on ne peut s'empêcher d'avoir le cœur serré pour Méduse et l'injustice de son sort, prise bien malgré elle dans cette histoire alors qu'elle ne demandait qu'à mener sa vie tranquillement en faisant ses propres choix. Elle a ses sœurs aimantes, son chien fidèle et ses serpents qui ont fini par faire partie d'elle-même même s'ils ont chacun leur propre identité et caractère (J'aime qu'elle leur ait donné des noms à tous !), mais elle rêve de plus, juste un peu plus, rien de mal à cela.

Le récit est fluide, entrecoupé de nombreux dialogues entre les deux jeunes gens. La tension monte petit à petit et on ne peut s'empêcher de tourner les pages pour connaître la suite, même si on pense connaître les grandes lignes du dénouement. Et la fin est très belle et très forte, à la hauteur de l'attente. Cette lecture a été une jolie surprise.