Les Chroniques de l'Imaginaire

Huit millions de dieux - Gil, David B.

Le père jésuite Martin Ayala a passé vingt ans au Japon en tant que missionnaire. Après son retour en Europe, il est devenu traducteur. Quand ses frères installés au Japon sont assassinés les uns après les autres, mettant en péril la christianisation de ce territoire lointain, c'est lui qui est choisi par Rome pour enquêter sur place, étant donné sa connaissance de la langue et des coutumes.

A son arrivée, il se présente dans la maison du daimyo Akechi Mitsuhide, dont l'homme de confiance lui remet le sauf-conduit établi par Oda Nobunaga,  le chef de guerre dont Akechi est le vassal. Il lui attribue également une escorte, Kudo Kenjiro, et un cheval. Sans prévenir le bataren, il les fait suivre discrètement par Igarashi Bokuden, un samouraï qui s'est retiré de la voie des armes pour se consacrer à la méditation, mais qui reste soumis aux ordres d'Akechi.

Kudo Kenjiro est un goshi, c'est-à-dire que, comme son père, il travaille aux champs quand son seigneur ne l'appelle pas à le servir par les armes. Il n'empêche qu'il a été dûment formé aux arts de la lutte et de l'épée, et que son père non seulement l'a choisi pour cette mission de garde du corps, de préférence à son frère aîné, mais lui a confié le daisho familial, dont le superbe katana Fil du Vent.

Au cours de leurs pérégrinations, ces deux personnages que tout semblait opposer au départ, apprennent à se faire confiance, et à s'apprécier. L'enquête d'Ayala n'en est pas moins difficile et dangereuse, et son supérieur à Nagasaki a visiblement déjà tiré ses conclusions quant aux responsables des assassinats, tout en montrant dans ses propos un mépris de la culture et des populations locales qui heurte profondément le père Ayala.

Quant à Igarashi Bokuden, il décide finalement de suivre une piste dont lui seul est conscient, quand il s'aperçoit que les victimes avaient été empoisonnées avant d'être dépecées, avec un poison très reconnaissable. Pendant que la paire d'enquêteurs retrouvent l'armée de Fuwa Torayasu, le daimyo chrétien, au moment de son assaut du mont Hiei contre la secte Tendai, soupçonnée des meurtres, Igarashi retourne sur le territoire Iga, dont il a été banni des années plus tôt. Tous vont se retrouver en grand danger.

Ce long roman n'est pas d'une lecture facile, du fait du grand nombre de personnages, et de leurs motivations convolutées : leurs alliances et allégeances changent sans cesse, et les apparences sont trompeuses. L'auteur a pourtant apporté toute l'aide possible : on trouvera une liste de personnages en début d'ouvrage, et les termes japonais sont explicités au fur et à mesure par des notes de fin de chapitre, avant d'être regroupés dans un glossaire à la fin du roman. Dans le même ordre d'idées, j'ai trouvé particulièrement bienvenue la postface qui voit l'auteur détailler ce qui dans ce roman historique est réel, et ce qui relève uniquement de la fantaisie du romancier, tout comme la présentation du contexte historique en avant-propos. C'est particulièrement précieux pour qui, comme moi, n'est pas au fait de l'histoire du Japon du XVIe siècle.

Facile ou pas, cette histoire n'en est pas moins fascinante, qui entremêle habilement roman historique et enquête policière, sur fond d'intrigues brutales, que ce soit sur le champ de bataille ou en-dehors. Ce roman bien écrit apporte un dépaysement total. Le thème des relations parent-enfant est entrelacé avec l'intrigue proprement dite, sous la forme de l'abandon de son propre fils Goichi par Fuyumaru, du respect profond pour son père éprouvé par Kenjiro, ou des relations complexes qui unissent Junko et Ayala, par exemple.

En somme, un roman exigeant mais très satisfaisant à lire dans toute sa complexité.