En 1927, Marta a six ans et vit avec son frère et sa sœur dans la ferme de leur père Johan sur la côte du Helgeland, la région la plus au nord de la Norvège. La vie de famille est compliquée, surtout depuis l'arrivée de leur belle-mère et de ses trois enfants. Les conditions sont dures, la terre difficile à exploiter et la pêche permet au père de faire tout juste survivre sa famille. Alors Johan doit se résigner à placer ses deux filles chez ses frères, car elles ne peuvent pas l'aider aux travaux alors que son fils Gunnar peut le faire. Même s'il ne le montre pas, c'est une blessure pour le père mais cela fait deux bouches en moins à nourrir et c'est une question de survie pour toute la famille. Marta grandit, revient à la maison, puis repart en fonction de la situation.
À quinze ans, elle s'en va avec sa cousine pour tenter sa chance à Oslo. C'est alors le début d'une nouvelle vie loin de sa famille, de ses racines, de cette terre si âpre mais qu'elle aime.
Dans une deuxième partie, c'est Rogern le troisième fils de Marta qui raconte son enfance à Oslo, dans la cité nouvelle d'Arvoll. On va alors le suivre pendant plus de trente ans jusqu'au début des années quatre-vingt-dix, voir l'homme qu'il devient, découvrir l'évolution de la société norvégienne, regarder évoluer la fratrie au fil des années. Les espérances sont différentes, les ambitions s'affirment et des divergences avec les générations précédentes se font jour.
C'est une véritable saga familiale sur plusieurs décennies que nous invite à découvrir Roy Jacobsen, avec ses malheurs, ses bonheurs aussi, ses tensions et des personnages intéressants qui se cherchent un avenir.
La première partie est formidable, la description des conditions de vie précaires de ces gens qui luttent contre les éléments est prenante. La vie de cet homme nous bouleverse, lui qui lutte pour sa famille, se tuant à la tâche pour les siens mais qui loin de se résigner cherche toujours à améliorer son sort quitte à se rater parfois. Cet homme de peu de mots est touchant par son entêtement, par son attachement à sa terre, lui qui ne sait comment montrer son affection à ses enfants. C'est dur mais beau, l'écriture nous accroche dès le départ et colle parfaitement aux personnages, à la dureté de leur vie.
J'ai eu plus du mal à rentrer dans la deuxième partie, passer de la misère du Helgeland aux interrogations d'un gamin de onze ans m'a un peu laissé perplexe. Il m'a fallu plusieurs dizaines de pages avant de me plonger avec plaisir dans cette partie du roman. Ce fut ensuite passionnant. On suit cet enfant qui voit le monde changer autour de lui et qui cherche sa place dans la famille mais aussi dans la société. Cet adolescent et ses frères qui comprennent un peu plus leur mère lorsqu'ils découvrent l'endroit où elle a vécu pendant son enfance misérable, qui se construisent avec leur père mais aussi contre lui.
Cette histoire est une plongée dans un monde qui change, qui laisse peu de chance aux plus démunis, au cœur d'une famille qui va traverser une guerre mondiale puis affronter les changements sociétaux des Trente Glorieuses.
C'est saisissant, prenant, l'écriture nous oblige à ne pas lâcher ce pavé pour notre plus grand plaisir. Ce roman déroutant par ses deux parties si dissemblables ne laisse pas indifférent et me donne l'envie de découvrir les autres romans de Roy Jacobsen.