Les Chroniques de l'Imaginaire

Le Lierre et l' Araignée - Carlé, Grégoire

C'est au milieu de l'eau que commence cet excellent ouvrage, en 1994, au milieu d'une nature fraîche et apaisante où coule une rivière frétillante de poissons, et où un jeune pêcheur se laisse guider par les conseils de son grand-père, dans sa tête. Ces moments de vacances privilégiés pour le petit-fils ont été certainement l'occasion pour l'aïeul de se souvenir de sa jeunesse, pris au piège pendant les premières années de la seconde guerre mondiale dans une Alsace prise en étau entre les deux pays frontaliers. Bernard est parti, avec ses souvenirs de résistant.

A seize ans, Bernard s'est retrouvé confronté aux nazis. La découverte des forts bourrés de munitions françaises a amorcé cette confrontation. Tenir bon face à l'invasion allemande et à cette perte d'identité française. Il fallait se plier à ces nouvelles lois quand Strasbourg tombe aux mains allemandes dès 1940. C'est la fuite vers le centre de la France pour beaucoup, et pour les autres, ils restent et oublient leur fierté. Mais la riposte résistante se réveillera tout doucement avec ces jeunes seulement âgés de seize ans.

Le lierre et l'araignée est un titre excellent. Cette araignée de jardin est le surnom donné par les alsaciens à la croix gammée. La feuille de Lierre est le nom donné à ces jeunes résistants dont le grand-père de Grégory. D'autres groupes naissent comme la Main noire. Ces jeunes résistants aident les prisonniers français essayant de s'échapper, des tracts anti-nazis sont distribués et les boites aux lettres et les ponts se voient repeints en bleu, blanc et rouge à l'insu des allemands. Ils connaissent les lieux de leur enfance par cœur et c'est à tout prix qu'ils veulent défendre leurs racines en se mettant en danger. Ils le paieront cher d'ailleurs en devenant prisonniers des Allemands et en se faisant rééduquer dans des camps de travail aux pratiques indescriptibles, ne se reconnaissant plus eux-mêmes, jusqu'à aller sur le front russe. Leurs familles les soutiennent mais à quel prix ?

Cette bande dessinée à la mémoire de ce grand-père glorieux est un sacré hommage à cette résistance alsacienne de la part de l'auteur. L'araignée allemande a rongé ces deux départements d'Alsace et de Lorraine. Leurs habitants perdent leurs propres identités. L'horreur du nazisme est ici décrite par Grégoire Carlé de façon provocante et qui marque. Pour nous, les générations d'après-guerre, il est souvent difficile de se rendre compte de cette atmosphère si lourde et si inquiétante dans cette folie humaine.

Pour le graphisme, Grégoire Carlé excelle en choisissant l'encre de Chine si gracieuse et l'aquarelle si légère et tant colorée, ce qui nous donne une ambiance lumineuse et réelle qui colle au récit de l'auteur. J'ai beaucoup apprécié le jonglage entre les cases décrivant la violence venant d'outre-rhin et les dessins de la rivière, des insectes et de la nature.

Grégoire Carlé nous délivre un solide scénario avec en sujet une guerre sans demi-teinte. On souffle quand les images de la rivière apparaissent en opposition à celles des affronts terribles du camp germanique. On saute d'une époque à une autre mais tout est clair. Les dialogues sont forts, et quand la pêche à la truite reprend, c'est doux et à la fois, il faut faire place aux souvenirs du grand-père meurtri qui s'est tu toute sa vie.

Nous devons ici un grand respect à ces jeunes hommes qui n'ont pas réfléchi, il fallait coûte que coûte trouver la parade et ne pas disparaitre. Ce témoignage du petit-fils racontant l'adolescence de son grand-père est à partager avec nos enfants pour surtout ne pas oublier et ne pas que ça recommence.