Pendant la guerre d'Espagne après un bombardement, Carlos, encore enfant, a découvert le corps de sa mère dénudé et tailladé dans leur maison. Après cette tragédie, Don Alejandro, un riche ami de son père, l'a pris sous son aile, lui ouvrant les portes de sa maison et le cœur de Paula, la fille de son protecteur. Des années plus tard, Franco est au pouvoir et une chape de plomb s'est abattue sur l'Espagne et Barcelone. Les temps sont durs, alors le père de Carlos lui demande de traverser la frontière avec la France afin de ramener clandestinement des marchandises pour son épicerie. Là-bas, il va rencontrer une commerçante qui va le guider et l'aider à faire passer sa contrebande en Espagne. Contraint de rentrer à Barcelone, il se fait un ennemi d'un policier corrompu, croise la route d'Eva une tenancière de cabaret, rencontre des gangsters avec qui il se lie. C'est le début pour lui d'une nouvelle vie et d'une ascension irrésistible dans le milieu de la pègre.
Cette bande dessinée décrit la trajectoire d'un fils d'épicier qui va devenir un homme d'affaires respecté, devant sa richesse à la contrebande et à sa position au sein de la pègre barcelonaise. Toute l’histoire se déroule sous la dictature de Franco avec l'oppression policière en toile de fond, la corruption endémique et les craintes de la population envers le pouvoir. Mais c'est aussi le récit d'un enfant traumatisé, découvrant des choses horribles sur sa famille et se jetant dans une envie effrénée de réussite pour oublier d'où il vient et qui il est. C'est aussi celui d'un homme se rendant compte sur le tard qu'il s'est perdu pendant toutes ces années, qui a tout sacrifié pour devenir quelqu'un alors que tout repose sur des mensonges et la violence.
La description de l'ambiance pendant les années franquistes est saisissante et c'est pour moi l'intérêt principal de cette œuvre. L'autre étant de suivre l'évolution psychologique du personnage au cours des années, un jeune homme cherchant à assouvir son ambition démesurée par n'importe quel moyen, quitte à vendre son âme au diable. Bien des années plus tard, un méfait de trop lui fait prendre conscience qu'il est allé trop loin, qu'il n'aime pas l'homme qu'il est devenu et qu'il est peut-être temps de se remettre en question.
Le dessin est plutôt classique, la palette de couleurs chaudes est agréable à l’œil et l'atmosphère lourde de l'époque est bien rendue. Les méchants ont de bonnes gueules de salauds, et le visage de Carlos retranscrit bien ce qu'il est devenu. Je regrette juste dans le récit la rapidité avec laquelle on passe de son mariage et ses débuts dans la contrebande au moment où il est déjà riche et bien installé à la tête de son réseau de gangsters. J'aurais aimé suivre comment il a réussi à prendre le dessus sur ses associés qui sont bien plus vieux que lui et plus méchants au départ.
Il s'agit d'une bonne bande dessinée pour les amateurs de gangsters, de règlements de compte et de romans noirs sous fond d'oppression politique.