Les Chroniques de l'Imaginaire

Les Hurleuses (Vaisseau d'Arcane - 1) - Tomas, Adrien

Il a suffi d'un instant pour que la vie de Sofena Gyre, Sof pour ses amis, bascule. On pourrait même dire que cela s'est fait en un éclair : celui qui a frappé son frère cadet Solal et l'a transformé en Touché, réceptacle de la magie de l'Arcane, en le privant au passage de toutes ses facultés intellectuelles. Dans l'Édilat du Grimmark, on a l'habitude de ce genre de cas, et on a même trouvé le moyen d'employer les Touchés dans divers domaines, puisque même s'ils sont incapables de ne pas se baver dessus, leur pouvoir magique leur permet de conduire des arcanorails à grande vitesse ou d'utiliser les canons magiques qui protègent la frontière tovkienne.

Oui, mais voilà : Sof ne peut se résoudre à l'idée que son petit frère adoré, ce fanfaron briseur de cœurs, ait disparu. En fait, elle en est sûre, Solal est toujours là et elle va trouver le moyen de le ramener. Alors, la sage infirmière qui n'a jamais rien fait d'inattendu de toute sa vie va prendre la tangente au nez et à la barbe des autorités du Grimmark. Sa fuite en avant la conduit vers le nord et les Hurleuses, forêts boréales peuplées par les étranges Orchidiens, avec l'opérateur Nym à ses trousses. Elle va découvrir que ses déboires ne sont rien comparés aux intrigues et complots qui agitent le Grimmark dans l'ombre.

À première vue, Les Hurleuses a tout du roman de fantasy classique. Après la jolie carte au début du livre, on se retrouve dans un univers où la magie existe, avec des royaumes en conflit larvé, des hordes barbares au nord et des complots à qui mieux-mieux. La manière dont fonctionne la magie est assurément originale (c'est une force naturelle imprévisible et difficile à contrôler) et le léger vernis steampunk apposé là-dessus apporte une petite touche de fraîcheur, mais il reste relativement superficiel.

Heureusement, ce premier tome du diptyque Vaisseau d'Arcane introduit suffisamment de nouveaux ingrédients dans la recette pour que tout cela ne sente pas le réchauffé. On y trouve notamment des races vraiment originales avec les Poissons-Crânes, habitants des abysses devenus sentients grâce à l'irruption de la magie sauvage dans leurs profondeurs, et les Orchidiens des taïgas du grand Nord. J'ai particulièrement apprécié la manière dont ces derniers retournent les clichés sur les Orcs : bien qu'ils soient considérés comme des brutes arriérées par les humains, ils forment en réalité une race sensible et raffinée, et s'ils ont la peau verte, c'est parce qu'ils sont des hybrides de végétaux.

Dans l'ensemble, l'intrigue est assez classique, avec sa protagoniste plongée malgré elle dans les intrigues des puissants. Sof est un personnage attachant et l'amour qu'elle a pour son frère rend ses réactions et décisions crédibles. Nym l'est peut-être un peu moins, avec son mélange de cynisme forcené et d'idéalisme béat, mais il fonctionne bien comme contrepoint de Sof. Le troisième personnage dont on adopte le point de vue, l'ambassadeur poisson-crâne Gabba Do, nous permet de découvrir cette étrange race de l'intérieur, mais sa perpétuelle naïveté finit par agacer à la longue.

Avec une bonne dose d'action et des rebondissements à gogo, Les Hurleuses est de ces livres diablement efficaces qu'on dévore sans s'en rendre compte. Difficile de ne pas se jeter sur le tome 2 dès qu'on en a tourné la dernière page !