Les Chroniques de l'Imaginaire

Le cornet acoustique - Carrington, Leonora

Certainement, Carmella Velasquez savait ce qu'elle faisait en offrant un cornet acoustique à sa vieille amie Marion Leatherby. Cet objet utile lui permet en effet de découvrir que sa famille prévoit de se débarrasser d'elle, comme d'un objet encombrant, pour le mettre dans une résidence pour personnes âgées. Certes, elle a quatre vingt dix neuf ans, mais elle aurait vraiment préféré rester chez elle, avec ses chats et la poule rousse qui pondait sur son lit tous les matins.

La voilà cependant dans l'institution dirigée par le Dr Gambit et son épouse, étrangement nommée Le puits de la lumière fraternelle. Contrairement à ce qu'elle craignait, elle n'est pas enfermée, mais les autres pensionnaires ont toutes des particularités étranges, comme d'ailleurs les bâtiments eux-mêmes. Pour ne rien dire du tableau qui lui fait face à table, d'une religieuse qu'elle a intérieurement nommée Dona Rosalinda Alvarez Cruz de la Cuerva, ou l'Abbesse à l'oeillade.

Ce court roman flirte constamment avec le fantastique. Il appartient certainement au courant du réalisme magique, non tant parce qu'il se déroule au Mexique, mais par l'apparition constante d'éléments surnaturels ou bizarres vus comme parfaitement naturels. Je pense à la façon dont Marion discerne la vérité de l'Abbesse lubrique, ou ses liens avec la Reine des abeilles, pour ne rien dire de la scène surréaliste qui la voit accéder à une forme d'Enfer - ou de chaudron alchimique. Cela le rend difficile à résumer, et demande à ses lecteurs et lectrices de se laisser emporter.

Ce n'est pas difficile, en ce que l'écriture est souplement descriptive, ondoyante et pleine d'humour. A cet égard, on ne peut que souligner le parfait français de la traduction d'Henri Parisot, qui lui rend certainement hommage. Les différents personnages sont cohérents dans leur étrangeté. On ne peut pas vraiment dire qu'il s'agit d'un roman féministe, au sens où il n'a rien de militant, mais il est clair que les hommes y sont pour le moins falots, écrasés qu'ils sont par les personnalités dominantes des femmes autour d'eux. A ce propos, on appréciera le personnage du Dr Gambit, qui permet à l'autrice de figurer une parodie absurdement drôle du "gourou" mystique.

En somme, cette réédition, enrichie de deux préfaces fort intéressantes, est bienvenue, et permettra sans nul doute de gagner de nouveaux lecteurs et de nouvelles lectrices à ce petit bijou surréaliste injustement oublié.