Montpellier, 1975. Angelita a du mal à rentrer chez elle ce soir, elle boit un verre avec son collègue Richard. La soirée passe agréablement et après quelques verres et confidences, ils finissent par se quitter mais au dernier moment elle l'embrasse sans aller plus loin. Angelita retourne alors à sa vie de famille tranquille, trop peut-être ? Le lendemain, elle reçoit un appel de René, le second mari de sa mère, l'avertissant que sa mère a fait une crise à cardiaque et qu'elle se trouve à Barcelone. Elle ne comprend pas, sa mère avait juré de ne plus mettre les pieds en Espagne depuis qu'ils avaient fui la dictature de Franco en 1939 alors qu'Angelita avait huit ans. En prenant le train pour Barcelone, René lui demande de raconter cette fuite et leur arrivée en France car sa femme est toujours restée très évasive sur cette partie de sa vie. Ce voyage est l'occasion pour elle de revenir sur son passé, son histoire familiale et son père qu'elle a perdu.
Cette bande dessinée revient sur le triste épisode de la fin de la guerre d'Espagne en 1939 et la fuite de centaines de milliers d'Espagnols vers la France au travers de la vie de cette famille de réfugiés qui a tout perdu en quittant son pays. Les conditions de la traversée des Pyrénées ont été effroyables, la marche épuisante et l'accueil de la France plutôt réticent, voire inhumain. Les familles sont séparées, les hommes d'un côté et les femmes et enfants de l'autre, parqués dans des camps précaires. Les autorités française sont vite dépassées par le nombre de réfugiés, les baraquements insuffisants pour accueillir tout le monde. Beaucoup sont obligés de dormir à la belle étoile à même le sol.
Mais le pire est à venir, 927 réfugiés du camp des Alliers à Angoulême sont déportés par les Allemands en 1940 vers Mauthausen. Seuls les femmes et enfants seront renvoyés directement à Franco. Les hommes mourront pour la plupart, 6500 Espagnols laisseront la vie dans ce camp. Cet ouvrage permet d'ouvrir les yeux sur le calvaire qu'ont subi ces réfugiés, contraints de quitter leur pays pour fuir les bombes des alliés de Franco et la répression qui va suivre avec la prise de contrôle de l'Espagne par les troupes franquistes. Non seulement ils ne sont pas accueillis à bras ouverts mais ils sont traités comme des animaux dans des conditions de vies inhumaines. La France se méfiant d'eux, les soupçonnant d'être pour la plupart des communistes qui pourraient déstabiliser le pays. Ce n'est qu'après le début de la guerre contre l'Allemagne que certains retrouveront un peu de dignité, devenant utiles pour remplacer les travailleurs français appelés sous les drapeaux.
J'ai apprécié découvrir cette partie peu glorieuse de notre histoire par le biais de cette saga familiale, de cette femme qui raconte son passé et ce qui leur est arrivé après la disparition de son père. C'est poignant, on ne peut qu'être touché par cette famille brisée par la guerre, par cette femme qui a refoulé ses sentiments, ses souvenirs pour ne plus penser à ce jour de 1939 où elle a vu son père pour la dernière fois. On comprend ces hommes partagés par le désir de protéger leur familles et le sentiment de se comporter en lâche face à l'ennemi franquiste. Ils ont l'impression de trahir leur patrie et leurs idéaux. Quelle a dû être leur déception quand ils ont vu l'accueil qui leur a été réservé !
Le récit est rythmé, sans temps mort, les flash-backs ne troublent pas le récit et s'intègrent parfaitement dans l'histoire. On apprend beaucoup de choses sur cette triste période sans que ce soit trop didactique. Les traits des personnages sont plutôt réalistes, même si trop épais à mon goût mais ils ne m'ont pas gêné dans ma lecture. Eduard Torrents s'est inspiré de son histoire familiale pour nous raconter l'exode de ces milliers d'Espagnols qui ont vu leur vie changée à jamais. Il a réussi avec Denis Lapière à éviter le pathos en gardant une certaine distance par ses dessins et la construction de l'histoire.
Cette lecture a été une bonne surprise, le dossier en fin d'ouvrage permettant de compléter les informations distillées au long du récit.