Les Chroniques de l'Imaginaire

Iochka - Fulas, Cristian

Iochka est un très vieil homme qui vit seul dans une petite maison au sein d'une vallée au fin fond des Carpates. Cet homme de peu de mots se contente de vivre, fabrique du charbon de bois, conduit dangereusement un camion fait de bric et de broc, boit beaucoup avec ses seuls amis le pope, le docteur et Vasilé le contremaître. Le plus souvent, il se contente de les écouter se disputer, participant rarement aux conversations. Iochka n'est pas de la région, il y est venu après la guerre quelque temps après sa libération d'un camp de prisonniers de guerre en URSS. Il est arrivé là plein de tristesse, complètement perdu car Ilona la femme qu'il aimait, son âme sœur, sa moitié, n'a pas voulu venir avec lui. Pris de sympathie pour cette âme perdue, le pope, Vasilé et le docteur se sont liés à lui à la vie et à la mort. Répondant à son silence par de longues tirades alcoolisées sur la vie, Dieu, le monde et les hommes.

C'est plus de soixante années de sa vie que nous allons suivre au cœur de cette vallée perdue, où chacun tente de préserver du monde extérieur sa tranquillité et la beauté des paysages. Des années de partage, de bonheur parfois, de malheurs aussi, de silences et d'amitiés.

Ce roman n'est pas banal, Cristian Fulas a réussi l'exploit d'écrire un livre de cinq-cents pages sur un homme quasi mutique. Le tout sans nous ennuyer, ni nous perdre dans des questions philosophiques. C'est surtout le récit d'une amitié, d'hommes qui se comprennent le plus souvent avec peu de mots. De personnes qui abritent et protègent leur solitude au fond de cette vallée et qui parfois la partagent avec certains pour un après-midi, une soirée, une nuit. Mais ce roman est aussi la description d'un amour absolu qui lie deux êtres, qui n'ont pas besoin de parler pour combler les silences, qui rien qu'en étant en présence de l'autre ressentent un tas d'émotions qui les submergent.

Alors qu'il ne parle presque pas, l'auteur nous fait ressentir toutes les émotions qui traversent Iochka, ses joies, ses peines infinies, ses petits bonheurs. C'est une écriture presque cinématographique car l'on imagine et se projette dans ces scènes sans difficultés, voyant son visage s'animer, son regard se troubler. D'ailleurs, le choix du visage sur la couverture est excellent car il correspond parfaitement à l'idée que l'on se fait de celui de Iochka, ou même du pope. Les compères de Iochka sont très différents mais forment une fine équipe toujours là dans les bons moments mais aussi dans les coups durs. Les descriptions des joutes entre le pope et le docteur sont délectables, les rares personnages féminins sont lumineux alors que chacun est venu cacher cacher quelque chose dans cet endroit.

J'ai beaucoup aimé le personnage de Vasilé, un homme au passé terrible, qui cherche à oublier, à se préserver, un peu abrupt mais qui donnerait sa chemise pour ses amis. Le contexte est aussi passionnant, cette Roumanie d'après guerre qui vit sous le joug de la dictature communiste, avec en apothéose la présidence mégalo de Ceausescu. Ce régime politique dont les hommes de cette vallée cherchent à se protéger, vivant hors du temps, découvrant les nouvelles et les changements du monde après coup.

Parfois le texte a des longueurs mais elles ne nuisent pas dans l'ensemble à la fluidité du récit. Les dialogues sont rares, noyés dans les descriptions des événements et au bout du compte ne sont pas nécessaires car le discours indirect employé par l'auteur suffit pour nous présenter les échanges des personnages. Ce roman est comme une longue description de ce qu'a vécu Iochka, un bloc de phrases qui se marient à merveille avec l'atmosphère de ce roman. Le plus étrange dans tout cela, c'est cet asile qui abrite quelques dizaines de fous, qui revient régulièrement au fil de l'histoire et dont on se demande à la fin si les plus fous n'étaient pas ceux qui vivaient à l’extérieur.

Ce roman est un peu foutraque dans la forme et dans le fond, avec des personnages excentriques et des situations étranges pourtant on ressort de la lecture avec le sourire, en dépit de passages profondément tristes mais tellement beaux.