Les Chroniques de l'Imaginaire

Le colonel ne dort pas - Malfatto, Emilienne

Le colonel arrive dans la Ville, appelé pour ses talents de spécialiste de l'interrogatoire. En contrebas du palais où siège le quartier général, la Ville est éventrée par la guerre. Tout est gris. Les ruelles, le ciel assombri par une pluie incessante, le colonel lui-même qui n'est plus qu'une ombre flottante, machine de guerre automatisée dont personne ne peut voir les rouages érodés par les nuits sans sommeil.

Car le colonel ne dort plus. Chaque nuit, une armée d'ombres fond sur lui. Tous ces hommes à qui il a donné la mort. Le tout premier, celui qui n'était pas "grave", car sur le front c'était lui ou c'était l'autre. Puis il y a eu les Hommes-poissons, leur massacre de masse. Et il y a eu tous ceux qu'il fallait faire parler. Couper, tailler, sectionner. Tel est le travail quotidien du colonel, le spécialiste, qu'il accomplit tous les jours tel un automate, en attendant que ses victimes viennent le hanter la nuit.

La plume d'Emilienne Malfatto est captivante. Elle nous entraîne avec elle dans cette Ville inconnue, au milieu d'une guerre sans nom, dans une atmosphère mortifère plombée par l'humidité et la grisaille. Nous ne saurons pas ce qui se joue dans ce conflit, ni les renseignements que le colonel cherche à arracher. Le propos de l'autrice est de nous glisser dans la tête de cet homme en fin de carrière qui voit tous les fantômes qu'il a créés se dresser devant lui pour peupler ses nuits.

Dans des chapitres mis en forme comme des poèmes, la langue claque, assène comme des coups de fouet les pensées funestes qui habitent le colonel. Il se sait coupable, il ne se dérobe pas. Les mots martèlent dans sa tête. Ce que rend parfaitement bien l'écriture d'Emilienne Malfatto, si bien que ces nombreux passages se prêtent à merveille à la lecture à voix haute.

Le colonel ne dort pas est un récit court et puissant, de ceux qu'on lit d'une traite en apnée, et qu'on referme sonnés.