Les Chroniques de l'Imaginaire

Pas même le bruit d'un fleuve - Dorion, Hélène

Alors que sa mère Simone vient de mourir, Hanna découvre dans un carton de vieux carnets et des coupures de journaux, toutes sur un même évènement. Une catastrophe oubliée. En 1914, l'Empress of Ireland a coulé dans l'estuaire du Saint-Laurent, faisant un millier de morts. Hanna n'avait jamais entendu parler de ce triste naufrage (authentique) et se doutait encore moins de l'importance qu'il avait pour Simone. Dans les carnets, elle trouve des poèmes, des écrits. Hanna est écrivain et n'avait aucune idée que sa mère écrivait elle aussi.

Comment ces deux femmes ont-elles pu évoluer ensemble en se connaissant si peu ? Pourquoi Simone était-elle aussi taiseuse, secrète ? Pourquoi ne semblait-elle sereine que lorsqu'elle se livrait aux eaux du fleuve ?

A travers ce carton, Hanna ouvre une porte sur le passé de Simone. Il aura fallu attendre sa mort pour véritablement la connaître.

Hélène Dorion offre une histoire émouvante tout en délicatesse et sensibilité, rendue sensorielle par les descriptions des éléments de la nature, surtout avec ce fleuve Saint-Laurent qui est d'une importance centrale, voire un personnage à part entière. Le roman oscille entre les époques, passant de 1914 à 2018, s'arrêtant en 1948 ou en 1958. Chaque chapitre nous emporte ainsi dans un temps différent, et nous sommes comme pris dans les eaux du fleuve, nous laissant dériver au rythme du récit.

La poésie tient une place essentielle dans ce roman, tant pas les questionnements directs - la poésie peut-elle nous sauver ? - que par l'écriture de cette autrice qui est avant tout connue en France pour son œuvre poétique. Rappelons qu'elle est la première autrice vivante et première Québécoise à être au programme du baccalauréat de français en 2024 avec son recueil de poèmes Mes forêts (Éditions Bruno Doucey). 

Sous ses abords simples, avec un récit court, des chapitres brefs, des paragraphes découpés, le roman se révèle en réalité être plus complexe et élaboré qu'il n'y parait. L'écriture d'Hélène Dorion est à la fois minimaliste et exigeante. Le lecteur qui ne cherche que le divertissement pourra en effet se contenter de retenir la beauté de l'intrigue, celle d'un secret lourd et poignant enfin révélé. Mais on peut aussi souligner la dimension poétique omniprésente qui se joue sur plusieurs niveaux, que ce soit avec des extraits de poèmes comme avec le mouvement souple de la langue qui mime les ondes de l'eau. Le lecteur qui a envie de s'impliquer devra mettre en branle son imagination pour accéder à ce que les mots ne disent pas. Faire travailler sa propre propension à la poésie.

Pas même le bruit d'un fleuve est un très joli récit, plein de grâce. Une entrée en matière intéressante pour qui veut aborder l’œuvre de cette talentueuse écrivaine.