Les Chroniques de l'Imaginaire

Les temps ultramodernes - Genefort, Laurent

Deux jeunes gens se croisent brièvement dans le train qui les amène à Paris : Georges Moinel sait avoir l'âme d'un artiste, même s'il n'a jamais rien peint ni écrit, et son talent sera certainement découvert à la capitale ; Renée Manadier, recommandée par son académie suite à la fermeture de l'école où elle enseignait, va chercher du travail. Ils ne se reverront pas après ce trajet, même s'ils se recroiseront sans le savoir : lui tombera amoureux fou d'une anarchiste et volera pour elle, après sa mort lors d'une fusillade avec la police, des documents compromettants sur le Traité de la Cavorite ; elle fera une rencontre qui changera sa vie, et la mènera sur Mars.

Le commissaire Peretti n'attend plus que sa retraite, et ne cherche plus les affaires importantes qui le passionnaient autrefois. Il n'a pourtant rien perdu de son flair, ni de ses contacts, et quand l'un d'entre eux le tuyaute sur un gros vol de cavorite, cela l'intéresse. D'autant plus quand il se rend compte qu'on essaie de le déposséder de cette enquête. Conscient qu'il ne sait à peu près rien de la fameuse cavorite au centre de l'affaire, il va chercher des infos auprès de Marthe Antin, une journaliste scientifique qui va lui en dire bien plus qu'il ne souhaitait en savoir. Sa vie en danger, il lui confie le soin de continuer d'enquêter très loin de Paris, sur Mars, d'où semble venir la cavorite découverte.

Car tout tourne autour de la cavorite, ce matériau qui non seulement lévite à l'état naturel, mais, une fois usiné, permet aux voitures, tram, et aéronefs de voler. Sans elle, il est impossible de coloniser Mars, par exemple. Malheureusement, les quantités découvertes sur Terre ne sont pas suffisantes pour tous les usages qui en sont faits, et de surcroît on vient de découvrir que le minerai avait une durée de vie limitée.

Sous couvert d'une histoire palpitante, dans un univers crédible où passe l'ombre de Bonnot, l'auteur aborde des problématiques très actuelles. Non seulement l'épuisement d'une ressource naturelle vitale pour l'économie d'une civilisation ne peut que nous parler, mais la société à deux vitesses, représentée ici assez littéralement, ramène à la mémoire la dichotomie "la France d'en haut / la France d'en bas", puisque les pauvres vivent et se déplacent littéralement en-dessous et à l'ombre des riches bourgeois qui ont les moyens d'user de la cavorite pour tout.

Le thème de la colonisation et de ses horreurs, potentielles ou réelles, est traité de façon particulièrement sombre ici, surtout si l'on considère l'exploitation qui est faite de cette espèce autochtone que sont les erloors, traités plus mal encore que ne l'ont été les peuples autochtones du continent américain, par un personnage qui est un terrifiant composé de Rudolf Hoess et du Dr Mengele. Le fossé qui s'instaure peu à peu entre la puissance colonisatrice et ses représentants sur place, regardés de haut et déconsidérés, est une constante dans la colonisation telle que l'Histoire nous l'a racontée, et il en est fait mention ici, quoique brièvement du fait que la majeure partie de l'action de ce roman se déroule sur Terre, et non sur sa lointaine colonie.

Le point de vue passe d'un personnage à l'autre, ce qui permet à l'auteur de présenter les différentes facettes de son univers sans jamais lasser le lecteur ou la lectrice. Ces points de vue sont parfois séparés par des articles de journaux plus ou moins anciens, et d'opinions politiques différentes. Tout cela est fort habilement fait, par un auteur au sommet de son talent d'écrivain. La fin ouverte laisse imaginer une suite, même si ce roman se suffirait parfaitement à soi seul, tant pour l'histoire que pour les personnages. La richesse de l'univers, toutefois, fait souhaiter d'y retourner. Pour ma part, je serai ravie de lire une suite !