Les Chroniques de l'Imaginaire

Ceux qui s'aiment se laissent partir - Balavoine, Lisa

« Est-ce qu'on peut éviter les peines, la mélancolie, ce qui se répète, tous ces chagrins qu'on se trimballe et qu'ensuite on se transmet, est-ce qu'on peut les remiser, sous des pulls trop grands, dans les bras d'un amour de passage ou dans les mots qu'on écrit, est-ce qu'on peut seulement faire comme si cela n'existait pas ? »

Une fois n’est pas coutume, j’ai envie de reprendre, en partie, la quatrième de couverture pour résumer la présentation de cette histoire. Non seulement parce que les mots ont été plus que bien choisis mais aussi parce qu’ils ont réussi à me donner envie de découvrir ce livre tout en me laissant à chaque page tournée la sensation d’avoir encore beaucoup à apprendre.

Dans ce roman intime et fragmentaire, écrit à cœur ouvert avec une justesse folle, Lisa Balavoine raconte sa mère, cette femme insaisissable avec qui elle a grandi en huis clos. Une femme séparée, qui rêve d’amour fou, écoute en boucle des chansons tristes et déménage sans cesse, entraînant sa fille dans une vie tourmentée. 

Cette mère qui boit, qui fume, qui se la joue copine avec sa fille parce qu’elle se pense éternellement jeune (et qu’elle refusera de vieillir). Cette mère façon dents de scie qui aborde chaque étape de la vie comme un wagon détraqué lancé en boucle dans une montagne russe. 

Cette mère qui ne borde pas, qui n’aide pas aux devoirs, qui ne s’inquiète pas, qui occulte ses responsabilités en refusant par exemple d’ouvrir les courriers des créanciers sous prétexte que « ne pas savoir, c’est la meilleure façon de ne pas souffrir ».

Cette mère qui oscille entre joie extrême et profonde détresse sentimentale. Cette mère qui s’isole de plus en plus. Cette mère fragile, physiquement et mentalement, mais qui arrive pourtant à embarquer avec force et fracas sa fille dans ses angoisses et ses dérives. 

Et cette fille, justement. Cette fille qui tente de ne pas sombrer avec elle, d’apprendre à nager seule et de relever la tête pour ne pas se noyer face aux assauts des vagues de menaces, odieuses mais désespérées (et désespérantes) de chantages ultimes de la part de sa mère. Cette fille qui s’inquiètera pour deux toute sa vie avec la sensation de n’être jamais sûre de rien, tout le temps. 

Oscillant entre incertitude et peur constante que quelque chose se passe mal ou qu’au contraire, rien ne se produise. Que rien ne change. On voit l’inquiétude se nicher dans tous les pans du quotidien et en grandissant, multiplier les silences et créer de la distance entre elles. Et malgré ça demeurent les tentatives, maladroites et lasses, de rabibocher ce lien qui se désagrège lentement mais sûrement. Cette volonté de ne pas céder, de ne pas tomber. Mais comment tenir quand « de tout ce que [l’on a] vécu, [on] ne parvient pas à se délester du pire » ? 

Entre fascination et angoisse, cette fille se débat auprès de cette figure parentale attachante et instable, qui s’abîme dans le chagrin, laissant ceux qui l’aiment profondément impuissants. En choisissant de s’éloigner, l’autrice devenue mère à son tour ne cessera d’être rattrapée par les fantômes de son passé. Jusqu’à quand ?

Envie de dire, d’écrire, de crier mille mots à propos de cette histoire. Jamais une autobiographie ne m’aura autant parlé, marquée et bouleversée. Comment le dire sans gêne, avec pudeur, respect et humilité… ce livre, c’est celui que j’aurais voulu pouvoir écrire un jour. 

J’ai pris de plein fouet ces mots qui chahutent et ces souvenirs qui débordent par saccades, par vagues brutales. J’ai ressenti par écho des similitudes et des émotions fortes auxquelles je ne m’attendais pas : nostalgie, sensibilité, peur, incompréhension, colère et aussi un peu d’espoir. 

Je me suis retrouvée dans la peau de cette enfant devenue femme, je me suis retrouvée à travers ses mots, ses tourments, sa lassitude face à un combat qu’on pourrait presque croire perdu d’avance. J’ai embrassé les ratés, les non-dits, les silences et les manques qui sont si bien décrits dans ce roman, certes court, mais ô combien puissant à chaque page, chaque paragraphe et chaque partie.

C’est l’une des plus belles déclarations d’amour, avec toutes ses failles et ses limites, à ce lien filial qu’on ne comprend pas toujours et qui nous heurte pourtant à chaque instant au fil de nos vies. Tout n’est pas facile dans l’expression des sentiments, mais à travers ce livre on comprend que la vie a ceci de surprenant : elle nous apprend à composer avec ce que nous avons et ce qui nous manque. 

Elle nous donne aussi parfois, pas forcément toujours à temps, le recul et la faculté de ne pas reproduire les mêmes schémas, les mêmes erreurs. Et même si cela devait arriver, il demeure des scènes, des acteurs et des sensibilités différentes. Nous ne sommes pas nos parents.

Enfin, comme Lisa Balavoine réussit à le dire si bien, « les chansons sont des pansements posés sur les plaies d’amour qui n’ont pas cicatrisé ». Alors pour approcher au plus près de ce duo mère/fille, je vous conseille d’écouter celles qui sont apposées tout au long du livre, notamment avec l’incontournable France Gall.