Les Chroniques de l'Imaginaire

Le pays du passé - Gospodinov, Guéorgui

Tout commence avec le psychiatre Gaustine, à la fois obsédé par le passé, et à l'aise dans toutes les époques. Il a remarqué que les personnes qui perdent la mémoire se remettent à communiquer quand elles sont placées dans un environnement qui leur était familier dans leur jeunesse. De là naissent les premières cliniques destinées à être des "abritemps" pour ces personnes. Au départ, il y a des sas étanches entre ces "bulles" de passé et le reste du monde, mais de plus en plus de gens bien portants sont séduits par l'idée.

Le narrateur est chargé par Gaustine de faire des recherches quant à l'exactitude des époques représentées, sa spécialité étant les années 1960. Impuissant, il assiste à la mise en place d'un univers où le passé prend le pouvoir.

Si un roman a jamais mérité le qualificatif "inclassable", c'est bien celui-ci ! Entre essai sur l'histoire européenne du XXe siècle, et son ou ses possible(s) futur(s), roman philosophique sur la mémoire, la vieillesse et l'identité, et fable sur le nationalisme, le lecteur ou la lectrice est pris.e dans une espèce de tourbillon vertigineux. L'auteur renverse aussi malicieusement l'idée que "celui qui oublie le passé est condamné à le répéter", puisqu'ici retourner vers le passé est ce qui justement oblige à le revivre. Sans doute parce que le passé est moins réel, moins connu et fixe qu'on n'a l'habitude de le penser, ce qui est une idée assez effrayante, si l'on y réfléchit.

L'invention est omniprésente, depuis l'idée de départ jusqu'à la forme de la narration, de plus en plus destructurée, qui s'intéresse à des personnages variés. Toute une partie rappelle le film La vie des autres, cependant que les parties les plus politiques, notamment celles consacrées à la Bulgarie, pays de naissance de l'auteur, risquent de n'être fascinantes que pour ses compatriotes.

Pour ma part, j'avoue avoir décroché dans les cent dernières pages : je ne suis pas étrangère - familiarité avec l'oeuvre de Christopher Priest oblige ! - à la notion de réalité floue, mais le changement entre un roman progressant de façon plus ou moins linéaire, malgré les digressions, à la perte totale de repères de la dernière partie, où l'on ne sait plus qui est le personnage ni qui écrit, ni dans quel temps on se trouve, a été sans doute trop brutal pour moi.

Il n'empêche que je ne peux que recommander ce roman puissamment original, qui fait réfléchir, et que pour ma part je ne serais pas étonnée de relire encore et encore.