Les Chroniques de l'Imaginaire

Les rancœurs et la terre - Cunningham Grant, Kimi

À l’aube de son départ à la retraite, le shérif Red ne voit pas d’un très bon œil la subite disparition de Transom Shultz, fils d’un riche entrepreneur de Fallen Mountains, bourg situé dans le nord de la Pennsylvanie. 

Ce garçon sportif et populaire à l’époque du lycée, autant adulé que détesté, était justement de retour parmi les siens, après plusieurs années passées sans donner de nouvelles.

Alors que tout porte à croire qu’il a choisi encore une fois de mettre volontairement les voiles, sa petite amie Teresa s’avère désespérément persuadée du contraire. Et pour preuve, tout réussissait à Transom et ensemble ils avaient des projets à venir, notamment celui de se marier.

De récents événements gravitant autour du rachat d’une ferme et de ses terres agricoles, de la déforestation d’une partie des parcelles et de l’implantation de compagnies d’extraction de gaz viennent se greffer à cette mystérieuse disparition.

Pendant que la recherche de Transom s’intensifie, le shérif va tour à tour interroger les habitants et soulever ainsi le voile sur de nombreux secrets profondément enfouis. Des histoires âpres et enchevêtrées qui témoignent d’une chose : tous peuvent être à juste titre suspectés. Chacun d’entre eux va alors devoir faire un choix entre vivre dans l’ombre du passé ou révéler l’inavouable, quitte à risquer de tout perdre.

Ce roman noir est habilement construit sous la forme de chapitres courts qui alternent les récits, avant et après la disparition, et permettent ainsi de bien situer la temporalité des différents évènements jusqu’au dénouement final.

Très rapidement, l’écriture, simple mais précise et affutée, m’a planté un décor sombre et sauvage, balayé au gré des saisons tantôt par le vent et la neige, tantôt par une chaleur écrasante.

J’ai eu la sensation d’être immergée dans un épisode de Fargo, la série des frères Coen où les histoires paraissent inspirées de faits réels même si les personnages avaient ici cependant un peu moins la gâchette facile. Tout comme j’ai eu également le plaisir de retrouver des airs de similitudes avec les romans de Ron Rash, de David Joy, de Jax Miller ou encore de Daniel Woodrell

Des auteurs qui m’ont tous fait découvrir, à leur manière, ces terres reculées des laissés-pour-compte de l’Amérique moderne. Ces petites gens de milieux ruraux à l’atmosphère pesante, aux choix de vie restreints et aux histoires parfois particulièrement violentes que ni l’existence, ni le temps ne semblent vouloir épargner. 

Je n’ai jamais su pourquoi ce genre de roman noir américain me fascinait, pourquoi je semblais comprendre ces vies désenchantées pourtant si lointaines de ma propre réalité. Mais c’est sans prétention que je me suis vraiment sentie chez moi dans ce roman de Kimi Cunningham Grant. Comme témoin des drames qui se nouent et peut-être même presque comme une potentielle suspecte tant je me suis projetée dans le quotidien de ces protagonistes aux relations étrangement complexes.

Pendant trois cents pages, j’ai eu cette impression de retrouver une terre connue, morose et silencieuse pour ceux qui ne savent pas voir et apprécier le soupir des forêts remplies de pins blancs majestueux, de frênes noirs, de chênes rouges ou encore de noyers aux contre-bas marécageux. 

Au-delà de l’intrigue principale, cette histoire aborde une multitude de sujets comme la loyauté, le deuil, les violences conjugales, le harcèlement moral ou encore le chantage affectif… avec comme point névralgique, cet attachement viscéral aux terres de l’héritage familial. 

Des terres nourries de sueurs et de labeurs mais aussi abreuvées de vieilles rancœurs et de querelles taciturnes où tout un chacun peut à tout moment commettre des actes, bons comme mauvais, dont il ne se savait pas capable. Et pour moi, c’est derrière cette rudesse que se cachent la fragilité des liens et la beauté des émotions qui font ainsi de cette histoire une lecture réussie et marquante.