Les Chroniques de l'Imaginaire

Petit pays - Faye, Gaël & Sowa, Marzena & Savoia, Sylvain

1992, Bujumbura, capitale du Burundi. Un véritable petit coin de paradis où Gabriel, dix ans, vit entouré de sa petite sœur Ana, de son père français originaire du Jura et de sa mère rwandaise, ainsi que des domestiques de la maison, Innocent et Prothé.

La vie suit tranquillement son cours pour Gabriel, élève en classe de CM2, et ses copains du quartier avec qui il chaparde des mangues, court, se baigne et qui le taquinent au sujet de Laure, sa correspondante française. C’est le temps de l’innocence et de la joie intensément goutée.

Mais alors que montent dans la ville des tensions qu’il ne comprend pas entre deux ethnies, Hutu et Tutsi, ses parents se disputent de plus en plus souvent à ce sujet et en viennent à se séparer. Bientôt, c’est le pays tout entier qui bascule dans la guerre civile.

Gabriel tente alors de se réfugier dans les livres que lui offre sa voisine pour laisser son esprit s’évader loin du danger quotidien. Mais quand sa mère rentre du Rwanda où elle était partie rechercher sa famille et qu’elle raconte ce qu’elle y a vu, Gabriel comprend que son enfance est finie, percutée de plein fouet par les horreurs de l’Histoire.

Un déchirement. Cette histoire vous prend d’abord par la main et finit par vous prendre par les tripes pour vous emmener loin, vers un monde sans retour possible où l’intime et l’universel sont liés de telle sorte qu’on y retrouve nos émotions d’enfant pour mieux se rappeler ensuite la cruauté du monde et ses implacables désillusions.

Petit pays, c’est l’histoire vraie d’un pays, celui de Gaël Faye, enraciné dans ses souvenirs d’enfance et des atmosphères très fortes du Rwanda et du Burundi qu’il a en premier raconté dans son roman du même titre que j’avais lu et qui s’était déjà imprégné très fortement dans mon cœur.

Émotions et sentiments réitérés avec son adaptation cinématographique en 2020. Autant vous dire que le rendez-vous avec cette bande dessinée était très attendu et que les planches réalisées par Marzena Sowa et Sylvain Savoia sont plus qu’à la hauteur de mes attentes. 

Ils livrent ici un véritable travail d’orfèvre avec des images à la fois douces et puissantes pour rendre au plus près la sensibilité et la langue si vivante et poétique de Gaël Faye, sans rien omettre de la violence de certaines scènes. Alternant actions intenses et grandes images silencieuses, le découpage des planches donnent un rythme qui fait sens.

Tout comme dans le livre, tout en écoutant la chanson, tout comme dans le film, avec cette bande dessinée, il y a à nouveau un avant et un après. Derrière des paysages verdoyants et les rires gorgés de soleil, on découvre à travers les yeux d’un enfant une réalité historique brutale venue éclater les corps et meurtrir les âmes. 

J’ai beau connaître l’histoire, l’Histoire même, et la fin, j’en ressors à chaque fois secouée. Dévastée. Et pourtant, je ne cesse de conseiller de s’en imprégner. Pour découvrir le talent de conteur de Gaël Faye, ses mots qui racontent et dénoncent, et cette voix, tout en pudeur et en humanité. 

Sans voyeurisme, sans théâtralité, avec justesse et simplicité, à eux trois, auteurs et dessinateurs maintiennent un équilibre parfait pour évoquer au plus près l'onde de choc du génocide des Tutsi au Rwanda. Bouleversant mais nécessaire.