Durant les millénaires qu'il a passés sur Terre, après la disparition d'Eden, Adam a exercé une multitude de métiers, certains avec plus de plaisir que d'autres : il a toujours préféré l'entretien de la nature à la guerre, par exemple. Eve, elle, voulait comprendre, apprendre tout ce qu'il y avait à savoir, le fonctionnement du corps humain, l'astronomie... Il y a très longtemps qu'il n'a pas vu Eve, mais il a beaucoup oublié, et l'intérieur de sa tête est trop douloureusement encombré pour qu'il s'y penche souvent.
Il est resté en lien avec certains des animaux d'Eden qui, comme lui, ont été créés avant la mort, et sont donc toujours là, devenus capables de passer pour humains, et plus ou moins actifs dans la société des hommes. Corvid & Corvid, par exemple, est un cabinet d'avocats réputés, constitué de Corbeau, Corneille et Pie. Ce dernier a disparu depuis longtemps, et son frère, Corbeau, demande à Adam d'aider Corneille à le retrouver, pour lui demander à quelle entreprise secrète il consacre les énormes sommes qu'il soutire à son frère.
A son arrivée au Royaume-Uni, Adam est accueilli par le couple Sinclair, qui l'emmène dans leur manoir et lui montre leur énorme serre, où il a la surprise de reconnaître une rose tout droit venue d'Eden. Les Sinclair le chargent eux aussi d'une mission, toujours la même : retrouver Pie et lui dire qu'ils sont prêts à lui vendre la rose en question.
Cette histoire du couple primordial n'est pas celle qui nous a été transmise : pour commencer, ils ont échangé leurs coeurs, de façon très littérale, et c'est le coeur d'Eve qui bat dans la poitrine d'Adam. Ensuite, les deux arbres ont brûlé lors d'une tempête. Entre autres détails plus ou moins importants... Mais surtout, si Adam a, comme dans la Genèse que nous connaissons, nommé les animaux, il n'en a pas pour autant conclu qu'il leur était supérieur et qu'il avait tout pouvoir sur eux.
Dans ce roman, le monde est tel que nous le connaissons à l'heure actuelle, avec la différence que, inconnus de nous, des morceaux du Paradis survivent encore, éparpillés et bien cachés. C'est une idée intéressante, une fable écologique originale qui nous invite à voir le sacré dans la nature qui nous entoure, et pas vraiment ailleurs, car la divinité est notablement absente de l'histoire. Roman aussi écologique que philosophique en ce qu'il montre la division entre ces deux notions de la place de l'humain sur Terre : celui qui nourrit, protège et collabore avec le reste du vivant, et celui qui domine tout le reste.
Le thème de l'extrême longévité s'entrelace avec celui de la mémoire. Chaque personnage a eu l'occasion de vivre plusieurs vies, et le poids du deuil et des expériences pèse lourdement sur chacun, si Adam semble être celui qui semble avoir le plus de mal avec son long passé. Dans ces conditions, la tentation de l'oubli est forte, et a des résonnances actuelles, dans notre société où la perte de mémoire peut accompagner les plus âgés.
En somme, ce roman bien écrit, à la langue richement descriptive et aux personnages hors du commun est passionnant, original et ouvre de multiples pistes de réflexion.
