Les Chroniques de l'Imaginaire

Franz Kafka ne veut pas mourir - Seksik, Laurent

Le 3 juin 1924, Franz Kafka s'éteint dans le sanatorium de Kierling, la tuberculose ayant fini par l'emporter. À son chevet, plusieurs proches sont là, ses parents, son ami Max Brod et surtout sa compagne Dora Diamant ainsi que Robert Klopstock, ami et admirateur de l'écrivain. Seule manque sa sœur adorée Ottla restée à Prague dans l'appartement familial. S'ensuit un retour en arrière où l'on découvre la vie de l'écrivain à travers les yeux de trois personnages : Robert, Dora et Ottla. D'abord la rencontre avec Robert au sanatorium puis celle avec Dora à Berlin.

Quant à Ottla, elle nous raconte la jeunesse difficile de son frère auprès de leur père, strict, étouffant, décidant pour ses enfants la vie qu'ils doivent mener. C'est cette pression, cette incompréhension entre eux qu'il fuit lorsqu'il décide de partir à Berlin au grand dam de ses parents inquiets pour la santé de leur fils déjà défaillante. Mais pour Franz, cet éternel insatisfait sur la qualité de ses écrits, c'est un début d'épanouissement, d'accomplissement. Enfin, il va pouvoir se consacrer entièrement à son œuvre. La deuxième partie du roman se consacre à suivre la vie des trois après sa mort. Leur lutte pour faire vivre et reconnaître les écrits de Kafka, connus seulement d'une poignée d’amateurs éclairés.

C'est leur destin tragique que nous suivons, car ils vont être emportés dans la tourmente de la montée de l'antisémitisme et de l'arrivée au pouvoir d'Hitler. Certains vont tenter de fuir la tragédie qui s'annonce, d'autres vont se résigner à rester, ne pouvant croire à une telle ignominie.

Je connaissais superficiellement l'histoire de Franz Kafka, la première partie du livre m'a permis d'en apprendre beaucoup plus sur l'homme et sur l'écrivain. Ce destin contrarié, son œuvre qui a failli disparaître et qui doit sa préservation à l'acharnement de Max Brod, Dora et Robert, permettant à l'auteur de revivre bien des années après sa mort. Je dois avouer avant la lecture que j'ai d'abord été intéressé par le destin des trois personnages au milieu des années terribles allant de 1930 à la seconde guerre mondiale. Et là, cela a pris un peu de temps dans la narration puisque cette partie commence seulement à la moitié du livre. Même si la première partie est un peu longue, il faut au moins cela pour tenter d'expliquer Kafka et la fascination qu'il a exercée sur ceux qui l'ont côtoyé.

J'ai apprécié la construction du roman avec l'histoire racontée par le point de vue des trois personnages. Cela évite un récit trop linéaire et permet de suivre séparément leur vie après la mort de Franz. Chacun, sa vie durant, gardera son ombre présente auprès d'eux, il les influencera bien longtemps après sa mort. Même si ce roman est très sérieux, j'ai aimé le passage où Dora se trouve confrontée à un agent du NKVD qui enquête sur elle et ce mystérieux Kafka et son lien avec le communisme. C'est plein d'humour alors qu'en vrai, Dora a vraiment subi ces interrogatoires et a dû fuir une nouvelle fois un pays qui l'avait accueillie.

La vie de l'écrivain a été perturbée par sa maladie et son père mais cela a nourri son œuvre et rend sa courte existence passionnante. Mais celles de ces trois personnes qui ont été très proches de lui le sont tout autant. Les épreuves qu'ils ont traversées, leurs destins méritaient aussi d'être connus et c'est ce qu'a réussi à faire Laurent Seksik dans ce roman en forme d'hommage à Kafka.