Les Chroniques de l'Imaginaire

Les chiens de paille - Williams, Gordon

En 1969, Georges Madruger, son épouse Louise et leur fille Karen se sont installés dans une ferme isolée des Cornouailles. Georges, universitaire américain, compte y terminer son livre sur un ancien auteur anglais, s'imprégnant ainsi un peu plus de l'atmosphère britannique. Louise, quant à elle, est heureuse de revenir dans son pays natal après dix longues années d'absence. Désirant lier contact avec les habitants de ce coin perdu d'Angleterre, Georges décide d'aller au pub du village. Mais il n'y rencontre qu'indifférence voire une sourde hostilité des hommes présents. Ces cinq habitués, copains de longue date, n'ont que mépris pour "l'amerloque", son arrogance supposée et sa richesse présumée. Georges n'a pas compris qu'ils se sont installés dans une campagne profonde où rien n'a changé depuis presque des centaines d'années, où ce sont les mêmes familles qui vivent depuis tout ce temps, où même un Londonien est considéré comme un étranger.

En plus de cet isolement forcé, Georges doit affronter des tensions avec sa femme, son agressivité continuelle, elle cherche en permanence le conflit. Louise ne supporte plus son mari qui est devenu pour elle une caricature de l'Américain typique, leurs différences charmantes au début ne faisant qu’accroître son exaspération. Le calme de son mari, sa passivité vis-à-vis de sa mauvaise humeur contribuent encore plus à sa colère.

C'est dans cette tension permanente en pleine tempête de neige qu'ils croisent la route d'un homme complètement perdu et transi de froid. Cet homme s'est échappé d'une ambulance qui le ramenait à l'asile où il est emprisonné pour meurtres d'enfants. Au même moment, une enfant du village a disparu, et les cinq amis dont le père de l'enfant apprennent que le fugitif se trouve dans la ferme de Georges et Louise. Passablement éméchés et persuadés de la culpabilité du prisonnier, ils décident alors de former une expédition punitive pour qu'Henry Niles avoue ce qu'il a fait de la petite fille.

Mais rien ne va se passer comme prévu, Georges qui a prévenu entre-temps la police va les refouler et déchaîner alors un engrenage de violence que personne ne pourra maîtriser.

Ce roman de Gordon Williams a été écrit en 1969 et a été adapté en 1972 par Sam Peckinpah, l'un des maîtres des films à la violence stylisée de cette époque. L'écriture n'a rien perdu de sa force, on ressent la tension dégagée et celle-ci va monter crescendo, s’instillant d'abord doucement puis grimpant inéluctablement jusqu'à l'explosion finale. Ce roman analyse les effets de la présence d'un étranger dans un monde assez fermé, l'hostilité latente qui en découle puis la survenance d'un élément déclencheur qui va déchaîner la violence d'un groupe d'hommes.

Mais l'auteur va nous montrer aussi comment un homme maître de ses nerfs et en apparence inoffensif peut se révéler déterminé et faire usage de toute la violence possible pour protéger sa famille. Gordon Williams nous livre un véritable western moderne avec le siège de la ferme par les assaillants, certaines scènes faisant penser à des films de l'époque. L'intrigue prend son temps pour planter le décor et les personnages de l'histoire, puis le rythme devient plus nerveux, haletant lorsque l'information de la présence du fugitif parvient aux oreilles des cinq copains.

Ce huis clos est rondement mené et toute l'action semble plausible car il n'est pas question de surhomme mais d'un homme simple qui fait tout son possible pour permettre à sa famille de s'en sortir face à la violence des autres. J'ai véritablement dévoré ce roman, ne le lâchant pas pour voir jusqu'où cela allait me mener. Je n'ai pas vu l'adaptation cinématographique mais je vais m'empresser de la voir même si Peckinpah en a livré une version différente. C'est une très bonne découverte d'un roman prenant et d'un auteur que je ne connaissais pas dont je vais certainement lire d'autres œuvres.